3 questions à… Lionel Suarez

3 questions à… Lionel Suarez

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

En concert le 14 avril prochain au New Morning, le Quarteto Gardel a partagé le plateau avec le légendaire contrebassiste Henri Texier à l’occasion de la saison jazz du Centre des Bords de Marne. Hit the road a la chance d’avoir pu recueillir les confidences de chacun des quatre complices qui le composent. 
Volet 1 : Lionel Suarez…

Enfant du bal, l’accordéoniste Lionel Suarez aime porter son instrument aux quatre vents et le faire valser sur des airs métissés qu’il improvise en chemin. Son projet Quarteto Gardel, qu’il promène avec trois musiciens d’exception (Vincent Ségal, Minino Garay et Airelle Besson), élargit l’horizon en proposant un hommage au tanguero Carlos Gardel dont le parfum d’ailleurs convoque des paysages ardents et inexplorés.  

« Les préjugés sur l’accordéon sont très français. Dès qu’on sort du territoire, on sent un vent de liberté souffler sur l’instrument. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Ce sont les rencontres qui ont constitué mon style. J’ai grandi à Rodez, dans l’Aveyron, mon père et mon grand-père jouaient de l’accordéon. Je suis un enfant du bal. Il n’y avait pas tellement de disques à la maison, je connaissais surtout la musique que jouait mon père. J’ai commencé mon enseignement du piano et de l’accordéon à l’âge de 8 ans, et c’est seulement vers 14 ans  que je me suis mis à écouter de la musique enregistrée, à l’époque où je grattais la basse avec des copains dans des garages. Plus tard, j’ai rencontré un musicien qui m’a fait découvrir la chanson française. Ensemble, on a repris tous les grands auteurs : Léo Ferré, Georges Brassens, Boris Vian, Jacques Brel… Puis j’ai découvert l’univers du jazz manouche et l’improvisation. J’ai compris qu’on pouvait voyager avec un instrument. J’ai alors fait la connaissance de JeHaN, un chanteur toulousain avec lequel je joue de nouveau aujourd’hui, dix-sept ans après notre rencontre. Grâce à lui, j’ai travaillé avec Claude Nougaro, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres musiciens, comme André Minvielle avec lequel j’ai collaboré pendant dix ans. Lorsque j’ai déménagé à Paris avec mon accordéon, je ne me sentais spécialiste de rien en particulier. J’étais dans un processus d’apprentissage et content de voir autre chose. À Paris, les cultures se croisent, tu peux improviser avec des argentins, des brésiliens… j’ai toujours aimé le fait de passer d’un univers à l’autre, cette variété de langages. Bernard Dimey disait : « Je vais de l’élite à la pègre sans me plaindre ni me vanter. ».  Cette phrase a toujours eu un fort écho en moi.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer?

Je n’ai pas de réels fantasmes. En revanche, j’ai des envies, et actuellement c’est celle de concrétiser un projet pédagogique dans lequel je me suis lancé avec un ami, Jean-Luc Amestoy (accordéoniste toulousain qui a travaillé notamment avec Zebda), couplé avec un projet de documentaire. L’idée est de cheminer sur la route de l’accordéon, pour essayer de comprendre pourquoi cet instrument est devenu si populaire. Le principe de l’accordéon est né en Chine, aujourd’hui c’est le pays où on en fabrique le plus au monde. Mais j’ai découvert aussi qu’il y avait  des Inuits et des Pygmées qui en jouaient. On entend résonner l’accordéon en Louisiane, au Mexique ou au Brésil. C’est passionnant. J’aime l’idée de créer un parcours avec des gens à rencontrer, c’est le vrai moteur du projet. Au Vietnam, quelqu’un m’a expliqué qu’on appelait l’accordéon « le piano de la joie », alors qu’en France il est dénommé « le piano du pauvre ». C’est un instrument très respecté car les anciens en jouaient pendant la guerre du Vietnam. Depuis, il a disparu; les instruments sont très chers, il n’y a pas de professeurs pour faire perdurer la tradition. C’est pareil en Jamaïque ou en Martinique. Et j’ai envie de creuser un peu cette histoire. Les préjugés sur l’accordéon sont très français. Dès qu’on sort du territoire, on sent un vent de liberté souffler sur l’instrument. Je travaille souvent avec le public scolaire, et j’ai remarqué que pour la première fois depuis bien longtemps les enfants n’ont aucun préjugé quant à cet instrument : ils ne le connaissent pas. Ils ne l’associent pas à l’image d’Yvette Horner. Je n’ai rien contre d’ailleurs, cette période a existé et ça ne me dérange pas. Mais j’apprécie le fait qu’on se retrouve devant de nouvelles générations qui n’ont aucun a priori. L’accordéon a été popularisé pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, c’est un instrument très jeune dans l’histoire de la musique, et c’est l’un des seuls instruments polyphoniques qui a tout à jouer. On n’est au début de quelque chose, à l’instar du piano au XVIIème siècle, lorsque les fabricants adaptaient la facture aux artistes. C’est une vraie chance. Aujourd’hui, lorsque l’on est guitariste ou saxophoniste, on sait qu’on est l’héritier de John Coltrane ou Jimi Hendrix : c’est effrayant pour un jeune musicien ! Alors que lorsque pour un accordéoniste, tout reste à inventer. Donc cet instrument, qui souffre d’une image ringarde, a encore tout à construire, et sera peut-être le plus « in » d’ici quelques années !

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs? 

New York est une ville fantastique pour un musicien, elle offre la possibilité de barouder toute la nuit, d’aller écouter des musiciens aussi inconnus qu’excellents. Je me souviens d’un club, le Fat Cat, qui ressemble à un hangar avec des baby-foot, des ping-pongs… Au fond sont disposés de vieux canapés délabrés qui font office d’accueil du public, et un groupe est là, qui joue. On y allait souvent avec un ami vers 2h du matin, et on y a vu des concert dingues !

Lionel Suarez, Quarteto Gardel; 2018, Bretelles Prod / L’autre distribution
© Caroline Pottier
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