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3 questions à… Dominique Fils-Aimé (soul jazz)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Après Nameless, qui s’inspire des accents du blues, la chanteuse québecoise Dominique Fils-Aimé sillonne davantage les chemins d’un jazz libéré avec Stay tuned !, deuxième volet d’une trilogie qui entend célébrer la lutte pour l’émancipation de la communauté afro-américaine. Nommée Révélation Jazz Radio-Canada 2019, elle était à Paris les 2 et 3 décembre derniers. C’est avec une grande douceur et une profonde humilité qu’elle a convoqué le public du Duc des Lombards à suivre sa voie, faite d’engagement politique et de groove hypnotique.
Le lendemain, autour d’un café, elle a pris le temps de nous raconter son parcours, armée de son tendre sourire et de son ample regard sur le monde.

« Nina Simone a contribué à l’évolution aussi bien des femmes, en particulier noires, que des chanteuses. J’ai beaucoup de gratitude envers elle. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Je suis née et j’ai grandi à Montréal. J’ai été extrêmement influencée par les festivals et les événements de rue de cette ville, où la vie culturelle et artistique a une place prédominante. Chez moi, ma soeur pratiquait la musique classique et ma mère écoutait beaucoup de disques, en provenance du Mexique et d’ailleurs. Très jeune, j’ai été curieuse de découvrir de nouveaux genres. J’ai réalisé que je n’aimais pas un style de musique en particulier mais que je connectais avec certains artistes. J’ai énormément écouté BB King, Nina Simone ou Joséphine Baker, qui avaient des histoires personnelles fascinantes, mais aussi Bob Marley, Mariah Carey, Marilyn Manson, et beaucoup d’opéra par le biais de ma soeur. La chanson française est peut-être un des rares genres qui ne m’a pas touchée, hormis certains morceaux de Charles Aznavour et de Jacques Brel. J’étais plus attirée par l’apprentissage de nouvelles langues, des émotions qui pouvaient m’être transmises par la mélodie sans même comprendre les paroles d’une chanson. J’ai d’abord appris l’anglais à travers la musique. J’aimais jouer et collaborer, ajouter ma voix à différents styles, voyager et briser des barrières grâce au son. J’ai travaillé comme intervenante en soutien psychologique pour les employés, et comme c’était très difficile émotionnellement, je faisais de la musique pour me soulager. C’était ma thérapie personnelle, et je n’ai jamais arrêté. La transition avec le fait d’être musicienne professionnelle s’est faite de manière assez organique. À un moment donné, j’ai compris que c’était ce que je voulais faire. Ça me faisait du bien, et d’autres personnes avaient envie d’entendre ce que je faisais : c’était parfait. On allait pouvoir échanger, partager, comme je le faisais dans mon travail de thérapeute.

Le fait qu’on m’ait classée comme chanteuse jazz me convient, car pour moi le jazz c’est la liberté de créer. Académiquement, on a défini ce genre, on l’a codifié, mais en réalité il n’a pas de limites, c’est un état d’esprit dans lequel je me retrouve tout à fait. Mais si je devais vraiment me décrire, je dirais davantage que je fais de la soul parce que pour moi l’âme est vraiment le point de départ de ma musique.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

J’imagine que ce serait avec Nina Simone, n’importe où. Mais au fond j’aurais juste envie de la prendre dans mes bras et de la remercier. C’est quelqu’un qui a sacrifié sa vie pour la cause féministe, et elle a laissé des marques indélébiles pour un grand nombre d’artistes. On l’a tous entendue résonner en nous à un moment, dans notre mémoire collective. Elle exprimait beaucoup de colère, mon tempérament est un peu à l’opposé, néanmoins je respecte ça. Je pense que pour changer le monde il faut combiner plusieurs façons de manifester son ressenti. Elle a été punie pour la sienne, sa carrière en a énormément souffert, mais ça a contribué à  l’évolution aussi bien des femmes, en particulier noires, que des chanteuses. Donc j’ai beaucoup de gratitude envers elle.

Pour le reste, j’adore collaborer, en général. Je n’ai pas de critères précis, c’est vraiment l’émotion qui compte. Je pourrais travailler avec le duo Ibeyi, que j’adore, autant qu’avec Rihanna. Mais c’est sûr que je collaborerais davantage avec des femmes, car elles sont encore sous-représentées, il me tient à coeur que l’on progresse dans ce domaine.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Un lieu qui m’a marquée est l’Opéra de Montréal. J’y ai souvent été car ma soeur était proche de  cet univers, j’ai suivi plusieurs de ses projets quand j’étais adolescente. J’ai toujours été impressionnée par le jeu des acteurs, et les décors, immenses. Ça me captivait, tous ces techniciens, tous ces gens qui avaient travaillé d’arrache-pied à la réalisation d’un spectacle aussi grandiose, tout ça pour que je sois là, à regarder un chef-d’oeuvre, tapie dans l’ombre…

 

Dominique Fils-Aimé, Stay tuned ! (2019) / Modulor
3 questions à… Steve Coleman (jazz m-base)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Sax autour du cou, l’américain Steve Coleman sillonne les salles de France et de Navarre depuis la fin des années 70. Inclassable, cet improvisateur rompu aux codes du jazz a révolutionné le milieu en suivant une voie qui transcende le son pour l’envisager sous l’angle philosophique. Il est l’un des fondateurs du M-Base, collectif qui rassemble des musiciens aux conceptions et aspirations communes : la création d’une musique expérimentale basée sur l’improvisation et la structure. C’est sans doute cette quête qui rend chaque concert de Steve Coleman unique et profondément ancré dans l’instant. La recherche prend forme sous nos yeux. Le groove nous contamine et provoque un feu qui ne demande qu’à être attisé. Accompagné de son band mythique The Five Elements et du rappeur au free style démoniaque Kokayi, il a brûlé la moquette carmin du New Morning ce mercredi 16 octobre à l’occasion de son concert donné dans le cadre du Festival Jazz sur Seine 2019. Quelques minutes plus tôt, il nous faisait l’honneur de répondre à nos questions. Qui, pour simples qu’elles paraissent, lui ont semblé complexes…

« Le lieu n’a pas d’importance. Le jeu et la musique que l’on joue, voilà ce qui prime.  »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi à Chicago, une ville dotée d’une forte culture musicale, dans une famille qui ne comptait pas de musiciens. J’ai commencé à jouer du saxophone au collège, vers l’âge de 14 ans. Il y a tant de gens qui ont nourri cette voix ! La liste serait trop longue. J’ai écouté énormément de saxophonistes, en commençant par Maceo Parker, et des sons venus du monde entier : du Ghana, du Nigeria, d’Indonésie… J’aime Stevie Wonder, Dinha Washington, Aretha Franklin, et tellement d’autres musiciens qu’il m’est impossible de définir réellement l’origine de mes influences. Peut-être que l’artiste vivant que j’ai le plus écouté est le saxophoniste Von Freeman. Avant, il y a eu Charlie Parker et John Coltrane, bien sûr.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Je ne sais pas, c’est dur à dire. Sans doute avec John Coltrane et le groupe avec lequel il jouait dans les années 60. N’importe où, le lieu n’a pas d’importance. Que l’on joue au New Morning, au Village Vanguard ou dans la rue, ça revient au même, tant que l’on joue pour des gens. Le jeu et la musique que l’on joue, voilà ce qui prime.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Pas vraiment. J’aime jouer un peu partout, à Paris, Munich, Londres, New York ou Chicago.  On avait l’habitude de jouer au Hot Brass à Paris (l’actuel Trabendo) dans les années 90, j’ai de beaux souvenirs là-bas. C’est difficile pour moi de répondre à cette question. La première fois que je suis monté sur scène c’était en 1976 ! J’ai joué dans plein d’endroits et écouté de la bonne musique aux quatre coins du monde depuis, donc j’ai du mal à prendre du recul et à te donner une adresse incontournable. La musique est partout. 

3 questions à… Muthoni Drummer Queen (Kenya)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Nouvelle étoile de la scène urbaine kenyane, la ravageuse Muthoni Drummer Queen revient dans son troisième album explosif et engagé, She, sur les combats de femmes du quotidien. Remarquée aussi bien dans des festivals éclectiques comme les Trans Musicales de Rennes que sur les scènes world d’Africolor ou de Musiques Métisses, la jeune chanteuse n’en finit pas de mettre le feu aux poudres avec une tournée qui compte de nombreuses dates dans l’Hexagone. Malicieuse, fougueuse et joyeuse, elle a pris le large le temps d’une discussion avec Hit the road.

« Je rêverais d’organiser une rencontre avec Fena Gitu, une rappeuse kenyane, et Juls, un DJ ghanéen. Ce serait un trio de feu : l’Afrique d’aujourd’hui !  »

 

Qui t’a le plus influencée musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi à Nairobi, la capitale du Kenya, où je vis toujours. Les grandes personnalités africaines et féministes ont forgé mon caractère : mes grands modèles sont des femmes de lutte et de courage, comme Maya Angelou ou Winnie Mandela, je me suis identifiée à elles et je partage leurs combats. Musicalement, j’ai toujours écouté des chanteuses venues du Continent, avec des légendes comme la sud-africaine Yvonne Chaka Chaka, mais les Etats-Unis ont parallèlement été une grande source d’inspiration. Lauryn Hill et Missy Elliott sont vraiment mes grandes favorites. Elles ont, comme moi, l’envie de mélanger ce groove afro de la voix à la modernité du rythme. J’aime l’idée de développer un son urbain issu de mes racines africaines.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Si je pouvais collaborer avec une artiste, ce serait Fena Gitu, une rappeuse kenyane « fenaménale » ! N’importe où dans le monde, ça m’irait, pourvu que je sois sur scène avec elle. Et, s’il était vivant, on pourrait la partager avec Prince ! On se retrouverait en pleine nature plutôt qu’à New York. On ferait une croisière et on jouerait ensemble par-delà les mers.… C’est un rêve fou ! En revanche, un souhait plus réaliste serait d’organiser une rencontre avec Fena et Juls, un DJ ghanéen. Ce serait un trio de feu : l’Afrique d’aujourd’hui ! On serait accueillis en résidence dans un château, et on finirait par un énorme concert… gratuit évidemment ! 

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

J’ai vu un concert incroyable de Oshun, un duo de chanteuses qui s’inspirent de la culture yoruba, dans un super club new yorkais dont j’ai oublié le nom. Il y avait une énergie dingue ! Mais pour ce qui est de ma terre-mère l’Afrique, je crois que si je devais conseiller un pays ce serait l’Ouganda : les gens écoutent du reggae et du dancehall importé, mais il y a aussi un vivier urbain, une vrai scène underground où se mêlent techno, électro et rap. Une musique qui regarde vers l’avenir.

Muthoni Drummer Queen, She (2018) / Yotanka Productions

3 questions à… Blick Bassy (Cameroun-France)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Chanteur au look et à la douceur vocale singuliers, Blick Bassy fait partie de ces artistes qui vous caressent le coeur. Ses mélodies, proches d’une pluie d’été, libèrent la fraîcheur et la légèreté d’un orage à peine passé. Après Akö (2015), un bijou de délicatesse signé chez les défricheurs No Format, son dernier album, 1958, est un hommage à Ruben Um Nyobè, leader indépendantiste camerounais exécuté par des militaires français. Invité de choix de l’édition 2019 du festival Musiques Métisses, il a évoqué, à travers ses chansons et une rencontre autour de son livre Le Moabi cinéma (2016), les espoirs d’une jeunesse africaine assoiffée d’avenir et les contraintes imposées par un Occident dominant. À l’occasion de ce week-end ensoleillé, il nous a parlé de son parcours, sa quête de sens et ses coups de coeur du moment…

« Nous vivons dans une société où le standard pré-établi nous pousse à étouffer celui ou celle que nous sommes réellement. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi au Cameroun, à Yaoundé. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui tenaient à ce que nous ayons une éducation traditionnelle. Nous étions vingt-et-un frères et soeurs, et nous passions toutes nos vacances au village : les garçons travaillaient les champs de plantain, et les filles, ceux d’arachide. Cela m’a amené à créer un vrai lien avec la terre qui m’abritait. Après mon bac, alors  que j’avais obtenu une bourse qui m’aurait permis d’aller étudier aux Etats-Unis, au Canada ou en Angleterre, j’ai décidé de rester au Cameroun pour y faire de la musique. J’ai créé mon premier groupe, Macase, avec lequel j’ai joué pendant près de dix ans, et qui a notamment reçu le prix RFI Musiques du Monde. Ensuite, j’ai décidé de venir m’installer en France où je séjourne depuis treize ans maintenant. C’est sans doute ma mère qui m’a d’abord transmis l’amour de la musique : elle chantait pour chaque événement, qu’il soit heureux ou malheureux. Artistiquement, les trois noms auxquels je pense spontanément sont Les Têtes Brûlées du Cameroun (un groupe mythique qui n’a malheureusement pas perduré), David Bowie et Prince, qui m’ont fait comprendre que ce que nous avons à donner, à échanger, c’est tout simplement la singularité de ce que nous sommes. Nous avons la chance, en tant qu’être humain, d’être unique, mais nous vivons dans une société où le standard pré-établi nous pousse à étouffer celui ou celle que nous sommes réellement. À partir du moment où l’on arrive à faire un travail sur soi au quotidien, à s’émanciper de tout cela, on commence enfin à vivre et à avancer un tout petit peu vers son couloir de liberté. Et je remercie ces grands artistes car ils m’ont permis de me comprendre et de me poser les vraies questions concernant la musique, mon métier. Je prends du plaisir sur scène mais ce n’est pas tout. J’essaie d’appliquer musicalement ce que je suis intimement : un Camerounais qui est né et a grandi au pays, qui vit en France depuis quelques années mais passe son temps à courir le  monde à la rencontre d’autres cultures, et qui essaie de redéfinir une perspective par rapport à tout cela. Si l’on y prête attention, on s’aperçoit par exemple qu’on ne trouve quasiment pas d’instrument percussif dans mes morceaux car pour moi le rythme peut être porté par une langue, un instrument harmonique ou mélodique. Cette touche musicale correspond à ma démarche personnelle de vie.
Mes goûts restent néanmoins assez éclectiques. En ce moment, j’écoute beaucoup RY X, une jeune chanteuse qui s’appelle Billie Eilish, James Blake, et quelques sons urbains venus du Nigéria dans le style de Flavour.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

L’artiste avec lequel j’aurais aimé jouer c’est sans hésiter Michael Jackson, qui était une vedette incroyable et d’une grande sensibilité. Mais là où je rêve de jouer, et ça, c’est réalisable, c’est tout simplement dans tous ces villages du Cameroun où les gens n’ont même pas d’électricité, où ils n’ont jamais vu de concert de leur vie. Je voudrais faire des scènes là-bas pour leur faire ressentir  cette magie que peut distiller la musique.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Le Congo est un pays qui m’a laissé un souvenir musical intense. Les gens font de la musique avec uniquement l’énergie et les vibrations qui les habitent. À Kinshasa, la nuit, tu croises des gars dans la rue qui jouent divinement avec des instruments de bric et de broc, faits à la va-vite, et ce sont des moments d’une grande puissance. Le Brésil aussi est un lieu musical formidable. J’ai eu la  chance de participer à un carnaval et de jouer devant 200 000 personnes pendant sept jours avec des gens d’une générosité inimaginable, c’était une expérience vraiment dingue.

 

Blick Bassy, 1958 / No Format, Tôt ou Tard

Festival Musiques Métisses 2019

C’est sous un soleil embrasé que le premier des festivals de musiques du monde a donné le coup d’envoi ! Pour sa 44ème édition, le Festival Musiques Métisses a investi le parvis des Chais Magelis, un site en bord de fleuve et au coeur d’Angoulême « qui fait l’unanimité grâce à sa bonne dimension », précise Patrick Duval, directeur du festival. Les artistes invités, répartis sur les quatre scènes du lieu, représentent avec vivacité la sono mondiale, issus qui d’Afrique du Sud, qui du Maroc, qui du Kenya… mais d’autres événements ponctuent la programmation : rencontres littéraires et projections de films sont autant de rendez-vous métissés qui témoignent d’une envie toujours plus forte de croiser les arts et les cultures.

 

VENDREDI 31 MAI – MUSIQUES MÉTISSES J1

À l’heure de l’apéro, la canadienne Mélissa Laveaux a convoqué le parterre du jardin de la Maison Alsacienne à un voyage dans le temps pour Haïti, scandant des mélodies empourprées et des récits d’une résistance douce-amère avec des titres comme Angeli-ko. Ce terrain, occupé à ce jour par la régie Cinéma de la Région Nouvelle-Aquitaine, se révèle tout au long du week-end l’endroit idéal pour alterner les multiples formes d’expressions artistiques. Dans son dernier album Radyo Siwèl, paru sur le label défricheur No Format, la chanteuse revisite un patrimoine aux échos étouffés par la colonisation américaine du début du XXème siècle avec une délicieuse malice dans la voix. 

Plus tard, c’est la coréenne Youn Sun Nah, improvisatrice inclassable et hors-norme, qui a ensorcelé la grande scène du festival par son chant hypnotique, osant sans détours des reprises-hommages épurées de Hallelujah (dans une version plus proche de celle de Jeff Buckley que de Leonard Cohen) ou Sans toi (de Michel Legrand).

Marina P & Stand High Patrol, figures-phares de la scène soundsystem, ont pris la relève pour un show dub accompagné d’un VJing . Les basses puissantes, l’énergie de Marina et des tubes comme Brest bay ont participé à l’osmose générale de la foule, contaminée.

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SAMEDI 1er JUIN – MUSIQUES MÉTISSES J2

Pour cette deuxième journée de festival, le planning est dense : pas moins de neuf concerts et sept rencontres littéraires investissent les différents espaces des Chais Magelis. Des choix éclectiques s’offrent aux festivaliers qui peuvent tour à tour (re-)découvrir le splendide I am not your negro de Raoul Peck sur grand écran, participer à un atelier de construction d’instruments à la Casamarmaille et déambuler en rythme avec l’Ensemble National de Reggae.

À 16h30, sous les 31° désormais quotidiens, Kei Mc Gregor et son band s’installent et font monter encore de quelques Celsius le climat général. Les plus téméraires se déhanchent au rythme de cette fanfare jazz sud-africaine, et tel un mirage dans l’extrême chaleur, on croit percevoir le visage épanoui du regretté Chris Mc Gregor.

On met le cap vers le nord-est de l’Afrique, direction Nairobi : la prêtresse de l’afro-dopeness Muthoni Drummer Queen monte sur scène ! Tutu sexy, tresses jusqu’aux genoux, elle enflamme le dancefloor accompagnée de ses acolytes tout aussi percussives. Militante féministe, cette jeune reine kenyane qui se revendique volontiers dans l’héritage d’une Maya Angelou nous confie dans son interview (à venir dans nos pages !) qu’elle aurait secrètement rêvé de partager le plateau avec Prince

La journée est loin d’être finie, et une pause s’impose. On s’installe donc sur la pelouse généreuse du jardin de la Maison Alsacienne pour assister à la rencontre littéraire entre Blaise Ndala, auteur de Sans capote ni kalachnikov (2017) dont la trame se déroule sous la dictature de son Congo originel, et le chanteur Blick Bassy qui raconte dans Moabi Cinéma (2016) une autre histoire de l’immigration. « J’ai décidé de faire un livre pour sensibiliser les jeunes africains aux questions d’immigration et leur rappeler l’urgence de reconstruire notre continent. Tout en précisant aux nations « puissantes » que la mobilité est innée et essentielle pour chaque individu. On ne peut pas continuer à parler de droits de l’homme et d’égalité alors qu’il y a encore des espaces où lorsque tu as envie de partir, il faut que celui qui a tracé les barrières de ton pays t’en donne l’autorisation. Aujourd’hui un camerounais qui travaille et qui a de l’argent ne peut pas sortir du territoire pour partir en vacances car il va se confronter au problème du visa qu’il n’est pas sûr d’obtenir. J’ai la chance de voyager, de rencontrer énormément de cultures différentes, et ça m’a donné une grande lucidité. Je vois bien que quand je dois me déplacer pour mes concerts, à la frontière, mes musiciens passent d’abord et moi je reste bloqué. Pourtant je suis le leader du groupe, mais j’ai un passeport camerounais. J’ai écrit ce livre pour dire aux africains qu’il est temps pour nous d’écrire notre propre storytelling et voir comment on pourrait sortir de cette impasse dans laquelle nos pays ont été livrés. »

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Il conclut avec un concert tout en douceur où les titres de son dernier album 1958 se mêlent à l’air chaud et au souffle d’un public captivé, à l’écoute de ces chants mélancoliques en hommage à l’indépendantiste Ruben Um Nyobè. 

La soirée prend une autre tournure avec l’arrivée de Fatoumata Diawara sur la Grande scène. Toute de blanc vêtue, elle s’agite comme une sorcière malienne viendrait envoûter les derniers indécis : la piste s’anime et se fait plus compacte pour des morceaux comme Bonya. Le charme opère…

Le dernier concert dure près de deux heures, avec en place Seun Kuti, fier héritier de son père Fela qui porte haut les couleurs de l’afro-beat « new generation » grâce à son énergie et ses musiciens. Les lumières jouent avec les couleurs flamboyantes de son costume, il passe du micro au clavier avant de convoquer le public à une danse électrisante. Les spectateurs en redemandent, et viennent finir de mouiller leur chemise sur le dj set de L’Enfant sauvage.

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DIMANCHE 3 JUIN – MUSIQUES MÉTISSES J3

Le cru étant excellent cette année, le dernier jour de festival est à la hauteur des précédents !

À peine remis de la soirée de la veille, on se faufile dans la jauge du jardin de la Maison Alsacienne, sous une chaleur encore plus torride. Pas le temps d’espérer un rafraîchissement : un coup de batterie et un riff de guitare suffisent à nous faire comprendre que Delgres n’a pas l’intention de nous faire perdre le rythme. Le trio nous sert un concert décapant, tantôt blues, tantôt rock, aussi endiablant qu’émouvant lorsque Pascal Danaë se met à évoquer la force de sa soeur à laquelle il dédie Pardone mwen.

On en sort comblés, souriant au ciel et à la lumière, implorant néanmoins la brise de se lever pour pouvoir garder le tempo. Sur la Grande scène, les sud-africains BCUC doivent arriver; le public est épars et on a peine à croire que le parvis va se remplir tant les gens semblent attirés par les foodtrucks et autres emplacements de boissons fraîches. Puis, l’un après l’autre, les membres du groupe se placent, lancent un rythme ou deux, et Zithutele « Jovi » Zabani Nkosi, chanteur ô combien habité par une force suprême, se met aux commandes. On se laisse posséder par son discours, sa gestuelle, sa fureur; il invoque Nelson Mandela et la paix entre blancs et noirs « all over the world ». Tel un prêcheur de gospel, il est un brasier ardent, porté par les mélodies de la mystique Kgomotso  qui insuffle une essence divine à cette transe du feu. Le public est emporté, soumis, et ne veut plus quitter Jovi (« don’t stop the music ! ») qui, en nage, doit pourtant laisser la place à la suite. Pour honorer cette communion, il se mêle à la foule qui vient le remercier et l’embrasser.

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Après cette expérience chamanique, on se détend un peu au jardin pour accueillir avec le mérite qu’on lui doit le chanteur Sofiane Saïdi accompagné des musiciens de Mazalda. On se souvient du concert incroyable donné au New Morning à l’automne, où les youyous et les pas de la communauté résonnaient aussi fort que la scène elle-même. À Angoulême, sans cette familiarité du public, la formule a fonctionné tout autant. Le parterre s’est laissé entraîner par cet hommage à une Algérie fière qui se relève enfin, par ce raï d’aujourd’hui qui mêle les accents traditionnels à des influences plus contemporaines, comme sur le titre abrasif El Ndjoum, titre-phare d’où est tiré le nom de l’album.

La jeune marocaine de Glitter prolonge ce mélange des genres, puis c’est le projet de Panda Dub qui a provoqué la liesse générale en cette fin de festival. Enfin, pour les plus courageux que le dimanche soir n’effraie pas, ils ont pu revisiter des pépites de la sono mondiale distillées par Martin Meissonnier, journaliste, producteur et réalisateur, toujours avide de faire partager sa subtile connaissance des musiques du monde.

Toute bonne chose a une fin, et c’est le coeur à la fois lourd et léger qu’on salue les Chais Magelis, heureux de quitter le Festival Musiques Métisses sur une note si sucrée, et déjà aux aguets pour préparer le rendez-vous de l’édition 2020.

© Loïc Rochas
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