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3 questions à… Chassol

3 questions à… Chassol

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

L’ouïe et la vue sont soeurs siamoises pour Christophe Chassol. Ses oeuvres sont conçues comme des « Ultrascores », un terme difficile à définir mais qui tend à « harmoniser le réel »en se servant du son de la vidéo pour créer des compositions. Nourri aux atmosphères de West Side Story et Brian De Palma, approché par Franck Ocean ou Solange, il sort cette année un nouvel album. À la fois disque, film et spectacle, Ludi s’inspire du roman utopiste Le Jeu des perles de verre d’Hermann Hesse qui met au point un jeu improbable réunissant les sciences et les arts.
Sur l’invitation du journaliste Richard Gaitet, il s’est prêté à une soirée « jeux » avec le public, retransmise en direct sur Radio Nova, dans le salon de l’Hôtel Grand Amour à Paris. Pour Hit the road, ce sont les derniers mots échangés avec un artiste avant le confinement. Arrêt sur image avec l’énigmatique Chassol.

« J’ai été au conservatoire très tôt. Je me souviens des premières dissonances avec des oeuvres de Prokofiev, et de la beauté des Arabesques de Debussy.»

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai mené une enfance plutôt tranquille dans les Hauts-de-Seine. Mes parents m’ont inscrit au conservatoire très tôt, ce qui m’a apporté un premier bagage musical : j’ai démarré le solfège à cinq ans et le piano à six. Je me souviens des premières dissonances avec des oeuvres de Prokofiev, et de la beauté des Arabesques ou des Préludes de Debussy. Mais ce qui nous a vraiment façonnés, ma soeur et moi, c’est la bande originale de West Side Story, qu’on connaissait par coeur. Plus tard, je me suis beaucoup imprégné des musiques de films d’Ennio Morricone et du rock des Cure. Puis j’ai découvert le jazz de Miles Davis et Chick Corea.

Dernièrement, j’ai écouté en boucle le répertoire de Stephen Sondheim, le parolier de West Side Story qui est aussi compositeur. Il a écrit tout un tas de comédies musicales, notamment dans les années 70-80, et celles que j’affectionne particulièrement sont Company, Into the woods et Sunday in the park with George. Elles intègrent l’esprit de Broadway, mais sur un ton très avant-gardiste. On y entend du parlé-chanté virtuose accompagné d’orchestrations splendides, et des accords un peu pop se mêlent à tout ça. J’adore ! À l’origine, je voulais être compositeur de musiques de films, donc j’en emmagasine énormément. Jerry Goldsmith (La planète des singes, La malédiction…) est pour moi le Dieu suprême du genre. Il a plus de 300 bandes originales à son actif… Le cinéma me semble être la plus belle forme artistique qui soit. On se retrouve à plusieurs dans le noir devant un écran, et là, l’image apparait, un peu comme un feu d’artifice dans la nuit. Le réalisateur qui m’a le plus marqué est sans doute Brian de Palma : la musique, le montage, les split-screen, le suspense, l’érotisme, le voyeurisme, personne ne fait ça mieux que lui. Je suis un fan inconditionnel de son univers.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

J’aimerais bien jouer dans une forêt, vaste et belle, comme on en trouve aux Etats-Unis dans les Appalaches. J’improviserais en acoustique au Fender Rhodes avec une chorale qui m’accompagnerait. Dans un autre registre, j’adorerais collaborer avec Jordan Peele (réalisateur de Get out). Il a vraiment un sens musical, ça s’en ressent dans ses films. Ça me plairait de faire quelque chose avec lui. Jouer avec mes idoles, en revanche, ce serait compliqué. Si je devais jouer avec Chick Corea par exemple, je ne serais pas au niveau. Pareil pour les lieux. Avant, je rêvais de jouer dans des salles mythiques, mais à force de tourner, ça m’est passé. J’ai l’impression que d’une salle à l’autre, ça ne change pas grand chose, c’est ton jeu qui compte. Un endroit particulier, en pleine nature, ce serait plus excitant.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

J’ai un souvenir encore brûlant de la plus vieille ville d’Inde, Bénarès, un lieu funéraire sacré. Les gens viennent y mourir car selon les Hindous, si leur corps est brûlé et les cendres jetées dans l’eau du Gange, ils échappent au cycle des réincarnations. J’ai vécu des moments incroyables là-bas, notamment dans un hôtel qui accueille beaucoup d’artistes, le Ganges View. Un matin, j’y ai entendu M.S. Subbulakshmi, une légende de la musique carnatique qui a chanté à l’unisson avec sa fille pendant près de soixante ans. Ça m’avait réveillé à l’aube, devant le fleuve : écouter de la musique classique indienne face à un tel spectacle, c’était bouleversant.

 

Chassol, Ludi; 2020 / Tricatel
3 questions à… Sofiane Saïdi (raï algérien)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Enfant terrible du raï 2.0, le chanteur algérien Sofiane Saïdi, parisien d’adoption, bouscule avec ardeur les clichés du genre. L’album El Ndjoum, avec lequel il tourne depuis sa sortie aux côtés des musiciens de Mazalda, navigue entre chaoui, funk, synthés et derbouka-beat. Après un retour cet hiver sur sa terre natale pour quelques concerts qui brisent enfin trente ans de silence, il sera aux commandes d’ « Algérie Bélek Bélek », une soirée qui s’annonce incandescente ce samedi 7 mars à la Dynamo de Pantin. Imaginé dans le cadre du Festival Banlieues Bleues, le plateau scénique rassemblera des personnalités emblématiques d’une Algérie connectée à son actualité frénétique autant qu’à son héritage.
C’est lors de notre passage au Festival Musiques Métisses que nous avons remonté avec ce cheikh des temps modernes le fil de ses moultes escales musicales, parcourues ou convoitées.

« Ce que je recherche, c’est cette puissance du son : provoquer un vrai truc en l’autre au point qu’il reste à l’écoute alors qu’il tombe de sommeil. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Je suis né dans l’Ouest algérien, à Sidi Bel Abbès, une petite ville qui a été le berceau de la Légion étrangère mais qui est aussi célèbre pour son rock. Là-bas, même la musique traditionnelle sonne rock. À la fin des années 60, un de mes oncles est parti vivre en Californie. Il était dans une communauté, il croisait des artistes, il a même rencontré Santana. J’étais toujours impatient de découvrir les vinyles qu’il envoyait à mon grand frère : Pink Floyd, Stevie Wonder… Mon père, qui lui était plutôt un épicurien, écoutait tous les soirs des chanteuses comme Oum Kalthoum ou Asmahan. Je n’aimais pas trop jouer au foot comme mes copains, je préférais rester avec lui, calme et apaisé par ces voix. Ce contexte a sans aucun doute affûté mon oreille.

Artistiquement, si je devais choisir, je dirais que deux figures m’ont profondément influencé. Otis Redding d’abord, je ne saurais pas vraiment dire pourquoi, il m’a toujours touché, viscéralement. Et Asmahan, que j’évoquais plus tôt, la soeur du grand virtuose Farid El Atrache. C’était une chanteuse d’une grande beauté, à la voix bouleversante, elle me faisait rêver. Plus tard, j’ai découvert son parcours très singulier. Apparemment elle était agent double, elle travaillait dans les années 50 pour les services secrets français, anglais, égyptiens : un personnage un peu sulfureux en somme ! Ces deux artistes m’ont vraiment montré le chemin.

À une époque, j’ai flirté avec le trip hop, la jungle, et tout ce qui venait de la scène électro britannique. J’ai été amené à collaborer avec Transglobal Underground, Natacha Atlas, Smadj, Speed Caravan, DuOuD, j’adorais ces vibrations-là. Aujourd’hui je suis plutôt sensible à des artistes comme Rosalía. Sa fraîcheur et son énergie sont contagieuses. Donc j’envisage la musique dans toute sa diversité, et les fusions peuvent opérer lorsque l’alchimie prend. J’aime le raï, mais je suis bien sûr attiré par d’autres genres. J’aimerais par exemple faire un duo piano-voix, retrouver quelque chose d’épuré, de fragile. Plus j’avance en fait, et plus j’ai envie de prendre des risques, de ressentir les choses avec une intensité croissante. Je ne suis plus aussi impulsif qu’avant. J’ai besoin de réfléchir, d’être porté par un projet. Un jour, alors que j’étais épuisé par la tournée, j’ai écouté Chopin dans le camion. Et j’ai ressenti tout autant l’envie de dormir que l’émotion éprouvée grâce à la musique, et qui me tenait malgré moi éveillé. C’est ce que je recherche aussi, cette puissance du son : provoquer un vrai truc en l’autre au point qu’il reste à l’écoute alors qu’il tombe de sommeil.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait? 

Je rêverais de jouer avec Camarón de La Isla, qui n’a jamais quitté mon coeur. J’admire sa façon de chanter. Je lui aurais montré un certain flamenco oranais. Est-ce qu’il ressentirait que ça fait partie de son histoire ? Je serais curieux de voir comment il entendrait cette musique, ce qu’elle lui évoquerait. On jouerait évidemment en Algérie, ma mère patrie.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

J’ai un souvenir incroyable à Plzeň, en République tchèque. J’étais malade, j’avais un gros rhume, j’ai  proposé à mon groupe de jouer sans moi tant je me sentais mal. Mais la salle était bondée de filles avec des talons qui résonnaient à tue-tête et un parfum envoûtant qui se dégageait de la foule. Ça criait si fort que je me suis repris. J’ai eu du mal à atteindre la scène tellement c’était la folie ! La chute du mur de Berlin était très récente, c’était une découverte de ce pays et de son peuple qui m’a beaucoup marqué.

Il y a un autre lieu que j’adore, c’est le Vauban, à Brest. Un vieux club de jazz. L’endroit idéal pour faire et écouter de la très très bonne musique.

Sofiane Saïdi & Mazalda, El Ndjoum; 2018 / Airfono
© Marion Bornaz
Ry Cooder remet à l’honneur le crooner cubain Ibrahim Ferrer

La voix du crooner de Cuba, feu Ibrahim Ferrer, sera de retour dans les bacs ce 28 février avec la réédition par le label World Circuit de son deuxième album solo Buenos Hermanos. Aux manettes de cette nouvelle jeunesse : le guitariste et producteur américain Ry Cooder, qui fut à l’origine du succès mondial du Buena Vista Social Club.

Ce projet ambitieux, qui a réuni des légendes du son cubain comme Compay Segundo ou Omara Portuondo, a reçu le Grammy Awards 1997 et s’est vendu à près de huit millions de copies dans le monde entier. Ibrahim Ferrer était l’une de ces étoiles oubliées.

Né à Santiago de Cuba en 1927, il se retrouve seul dès l’âge de douze ans et se met à vivre de petits boulots et de chant. Il collabore avec de nombreuses formations, dont celles de Benny Moré et Pacho Alonso, jusqu’au début des années 80 où il prend sa retraite, désabusé. Pour survivre, il cire des chaussures et vend des tickets de loterie. Mais en 1996 il est ramené sur le devant de la scène grâce au projet Afro Cuban All Stars : A Toda Cuba Le Gusta qui précède le triomphe du Buena Vista Social Club. Suivront deux albums solo qui concluront en beauté sa carrière de musicien, Buena Vista Social Club présents Ibrahim Ferrer, et Buenos Hermanos.

Ce dernier opus, sorti en 2003, se pare désormais de nouveaux atours. À l’origine de la première version, Ry Cooder a souhaité aujourd’hui rehausser cet écrin en y apportant des modifications qui le subliment. L’album a ainsi été remixé, remasterisé, et quatre titres inédits ont été ajoutés à l’ensemble dont l’enchainement de pistes a été naturellement repensé. Le disque gagne alors en amplitude, en puissance, et on découvre avec délectation les morceaux jusqu’alors inconnus d’un Ibrahim Ferrer plus romantique que jamais. On retrouve le boléro, cher à cette voix de velours,  avec les langoureux « Ojos Malvados » et « Mujer », deux hymnes à l’amour et aux émois qu’il peut provoquer. Mais le rythme effréné de « Me Voy Pa’ Sibanic » nous rappelle aussi que l’âge du « papi » cubain n’avait en rien altéré son enclin pour les danses endiablées. Quant à « Ven Conmigo Guajira », dans laquelle la guitare de Ry Cooder donne le la, elle revisite un standard de la chanson guajira cubaine avec cuivres, claves, choeur, et autres éléments qui invitent à remonter le temps pour interpréter une danse de salon tendance 2020. « La meilleure version que je n’ai jamais entendue », insiste Ry Cooder. Comptant de prodigieux talents cubains tels que le bassiste Orlando ‘Cachaíto’ Lopez ou le pianiste Chucho Valdés, cet album accueille des artistes plus inattendus comme les voix gospel des Blind Bloys of Alabama ou le trompettiste de musique ambient Jon Hassell.

Un disque aux couleurs sensibles de Cuba, terre de métissage et de fertilité, qui reflète l’harmonie née de ses fêlures et de son énergie contagieuse.

Ibrahim Ferrer, Buenos Hermanos (2020) ; World Circuit/BMG
3 questions à… Delgres (blues créole)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Delgres, c’est un trio hors norme, la fusion de trois vibrations qui enfantent une musique encore jamais entendue auparavant. Un blues créole au parfum de lutte qui côtoie la Louisiane et les Caraïbes. Avec leur album Mo Jodi, les trois complices ont tourné de par le monde et vécu « sur la route ». Après ce premier succès, ils entament actuellement l’enregistrement de leur second opus. À l’occasion de leur passage au Festival Musiques Métisses, nous avons rencontré ces aventuriers, impatients de poursuivre un chemin déjà si bien tracé.

« Mon rêve, ce serait que dure cette alchimie qu’on a, là,  avec Delgres. Ça m’a pris des années de trouver un truc pareil. »
(Pascal Danaë, chanteur et fondateur de Delgres)

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Pascal Danaë (guitare & voix) : J’ai grandi à Argenteuil, en région parisienne. Dans ma famille, on écoutait toutes sortes de musiques : kompa, Gwo Ka, rumba congolaise, salsa. Mon parrain, lui, s’intéressait essentiellement au rock britannique. On naviguait donc entre Célia Cruz, le Franco et l’OK jazz,  Germain Calixte, The Beatles, The Troggs et The Kings. Sans oublier les symphonies classiques et le jazz. Mes soeurs écoutaient James Brown et Aretha Franklin… Il y avait vraiment un foisonnement de styles très différents chez moi ! Mais un jour, mon goût pour la musique africaine a pris le pas sur le reste. Puis je suis parti vivre à Londres. Là-bas, j’ai renoué avec le rock de mon parrain et j’ai plongé dans le blues. Je dirais donc que mes proches ont énormément contribué au musicien que je suis aujourd’hui. Les artistes avec lesquels j’ai collaboré, comme Ayo ou Lokua Kanza, n’ont pas influencé de façon directe mon style mais ça a été une belle aventure d’être dans leur entourage. Ce sont des chanteurs qui ont une belle empreinte vocale, et ça a été instructif de voir comment ils abordaient la scène, l’avant et l’après concert.

Baptiste Brondy (batteur) : J’ai grandi aux alentours de Nantes. Mes influences musicales sont celles des groupes américains des années 90 comme Nirvana ou The Police, et le blues. Mon son s’est ensuite frotté aux rencontres que j’ai faites dans la vie, notamment au contact du groupe Lo’Jo avec lequel j’ai joué assez jeune et beaucoup voyagé. Quand tu t’entends bien avec les gens, ta musique change car tu développes ton écoute, et ainsi ta manière de jouer et de ressentir. C’est surtout ma vie de musicien qui m’a formé.

Rafgee (sousaphone & trompette) : J’ai grandi en banlieue parisienne, dans le 92, et chez moi on n’écoutait pas du tout de musique. J’ai néanmoins des souvenirs marquants, comme la musique du film Le grand bleu : j’écoutais la cassette en boucle ! Plus tard, j’ai autant apprécié Jamiroquai que des orchestres de musique classique, notamment l’Orchestre philharmonique de Vienne, porté par un chef d’exception tel que Leonard Bernstein, qui a un répertoire fabuleux. Delgres est quasiment ma première expérience de groupe. Avant cela, j’ai collaboré avec de nombreux orchestres. Je me limitais à reproduire le plus fidèlement possible les standards du son qu’on nous inculquait. Maintenant, je façonne un son personnel, avec l’humain au centre de tout : c’est une super ouverture !

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Pascal Danaë : Je crois que ce serait avec Delgres ! Bien sûr il y a des chanteurs que j’aime beaucoup, comme Francis Cabrel ou Jean-Louis Aubert, avec lequel on a fait un duo. Mais au fond, si tu me demandes vraiment quel est mon rêve, ce serait que dure cette alchimie qu’on a, là, avec Delgres. Ça m’a pris des années de trouver un truc pareil. J’ai la sensation que toutes les influences dont je te parlais tout à l’heure ont enfin trouvé une forme. Pendant longtemps, je me suis senti un peu paumé face à ma musique, alors qu’aujourd’hui je sais que tout ce qu’on fait a du sens. Donc mon rêve ce serait de continuer de jouer avec Baptiste et Rafgee, dans des festivals incroyables, qu’on puisse faire le tour du monde et partager notre musique avec le plus de gens possible. Si j’en avais l’occasion, j’aimerais quand même bien rencontrer l’Ensemble Les Arts Florissants (j’adore la musique baroque), tout autant que le rappeur Snoop Dogg. Et s’ils veulent bien jouer ensemble, je ferais un featuring avec les deux sans aucun problème, et nous au milieu : le rêve !

Baptiste Brondy: Moi aussi mon rêve ce serait de jouer avec Delgres mais cette fois dans une cale de bateau, au fond d’un rafiot allumé à la bougie qui ferait le tour du monde. À chaque escale, on récupèrerait des gens d’un pays différent qu’on emmènerait avec nous jusqu’à la prochaine étape. Ce ne serait alors jamais les mêmes concerts, le public changerait sans cesse. Notre bateau serait une sorte de taxi des mers. J’avoue cependant que j’ai rêvé de jouer avec pas mal d’artistes, j’ose à peine les citer… J’adore la musique folk. Je compose un peu et il y a très peu de batterie dans mes compositions car j’aime le côté soft des musiques et des arrangements. Norah Jones, Rickie Lee Jones ou Joni Mitchell sont des chanteuses qui transmettent des émotions avec très peu. J’aurais aimé jouer avec de telles artistes. Mais je me sens déjà extrêmement épanoui dans notre formation, donc je savoure chaque moment vécu ensemble.

Rafgee : Pour moi c’est un peu pareil : on s’est quand même bien trouvés ! Ce serait génial qu’on aille encore plus loin dans notre son, le rêve se construit et est toujours en cours. Sinon, quand j’étais plus jeune, j’aurais bien voulu jouer avec Prince, mais c’est loupé… Dans un autre registre, si par hasard je le croisais sur un festival, je serais ravi de jouer avec le trompettiste de jazz Wynton Marsalis.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Pascal Danaë: J’ai un souvenir qui m’a marqué lors de notre tournée aux Etats-Unis en 2017. On est allés dans le Colorado, au Telluride Blues & Brews Festival, dans les montagnes. L’arrivée a été assez cauchemardesque, nos instruments ont été perdus par la compagnie aérienne, mais rapidement tout a été oublié car le lieu était incroyable. Le deuxième endroit que je ne risque pas d’oublier, c’est le désert californien du Joshua Tree Music Festival. La lumière était fantastique, on voyait les dunes à perte de vue, on a éprouvé un sentiment de liberté incroyable. Le lieu impose quelque chose, c’est tellement majestueux ! Quand les gens arrivent dans un espace pareil, ils sont comblés, ils demandent presque à la nature la permission d’être là. Tout le monde étant dans cet état d’esprit, les vibrations sont très très bonnes. En tant que musicien tu n’as qu’une envie, c’est de remercier l’univers et de tout donner pendant ton concert.

Baptiste Brondy : Mon plus beau souvenir c’est sans doute le premier concert qu’on a fait en Guadeloupe, en novembre 2018. On ne savait pas comment on allait être reçus, et Rafgee et moi, qui accompagnons le projet très personnel de Pascal, avions une position particulière. Je ne parlais pas du tout créole au départ, j’aimais cette musique mais je n’y connaissais rien. Vivre cet engouement à travers Pascal et les gens qui nous ont accueillis de façon si chaleureuse a été une grande émotion. Et ça a créé un très beau concert. De façon plus générale, on entend de la très bonne musique au Womad car le monde entier s’y retrouve.

Rafgee : Pour ma part, je conseillerais vivement à tes lecteurs d’aller à la Nouvelle Orléans. Je suis un cuivre, c’est là-bas qu’historiquement le jazz est né, et cette tradition très puissante est toujours extrêmement présente là-bas. On a la chance d’y avoir passé une semaine ensemble avec Delgres. En tant que touriste, c’est fantastique ! Il y a une multitude de lieux à découvrir et des musiciens exceptionnels un peu partout dans la ville.

Delgres, Mo Jodi (2018) / Jazz Village
©Mélanie Elbaz
3 questions à… Dominique Fils-Aimé (soul jazz)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Après Nameless, qui s’inspire des accents du blues, la chanteuse québecoise Dominique Fils-Aimé sillonne davantage les chemins d’un jazz libéré avec Stay tuned !, deuxième volet d’une trilogie qui entend célébrer la lutte pour l’émancipation de la communauté afro-américaine. Nommée Révélation Jazz Radio-Canada 2019, elle était à Paris les 2 et 3 décembre derniers. C’est avec une grande douceur et une profonde humilité qu’elle a convoqué le public du Duc des Lombards à suivre sa voie, faite d’engagement politique et de groove hypnotique.
Le lendemain, autour d’un café, elle a pris le temps de nous raconter son parcours, armée de son tendre sourire et de son ample regard sur le monde.

« Nina Simone a contribué à l’évolution aussi bien des femmes, en particulier noires, que des chanteuses. J’ai beaucoup de gratitude envers elle. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Je suis née et j’ai grandi à Montréal. J’ai été extrêmement influencée par les festivals et les événements de rue de cette ville, où la vie culturelle et artistique a une place prédominante. Chez moi, ma soeur pratiquait la musique classique et ma mère écoutait beaucoup de disques, en provenance du Mexique et d’ailleurs. Très jeune, j’ai été curieuse de découvrir de nouveaux genres. J’ai réalisé que je n’aimais pas un style de musique en particulier mais que je connectais avec certains artistes. J’ai énormément écouté BB King, Nina Simone ou Joséphine Baker, qui avaient des histoires personnelles fascinantes, mais aussi Bob Marley, Mariah Carey, Marilyn Manson, et beaucoup d’opéra par le biais de ma soeur. La chanson française est peut-être un des rares genres qui ne m’a pas touchée, hormis certains morceaux de Charles Aznavour et de Jacques Brel. J’étais plus attirée par l’apprentissage de nouvelles langues, des émotions qui pouvaient m’être transmises par la mélodie sans même comprendre les paroles d’une chanson. J’ai d’abord appris l’anglais à travers la musique. J’aimais jouer et collaborer, ajouter ma voix à différents styles, voyager et briser des barrières grâce au son. J’ai travaillé comme intervenante en soutien psychologique pour les employés, et comme c’était très difficile émotionnellement, je faisais de la musique pour me soulager. C’était ma thérapie personnelle, et je n’ai jamais arrêté. La transition avec le fait d’être musicienne professionnelle s’est faite de manière assez organique. À un moment donné, j’ai compris que c’était ce que je voulais faire. Ça me faisait du bien, et d’autres personnes avaient envie d’entendre ce que je faisais : c’était parfait. On allait pouvoir échanger, partager, comme je le faisais dans mon travail de thérapeute.

Le fait qu’on m’ait classée comme chanteuse jazz me convient, car pour moi le jazz c’est la liberté de créer. Académiquement, on a défini ce genre, on l’a codifié, mais en réalité il n’a pas de limites, c’est un état d’esprit dans lequel je me retrouve tout à fait. Mais si je devais vraiment me décrire, je dirais davantage que je fais de la soul parce que pour moi l’âme est vraiment le point de départ de ma musique.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

J’imagine que ce serait avec Nina Simone, n’importe où. Mais au fond j’aurais juste envie de la prendre dans mes bras et de la remercier. C’est quelqu’un qui a sacrifié sa vie pour la cause féministe, et elle a laissé des marques indélébiles pour un grand nombre d’artistes. On l’a tous entendue résonner en nous à un moment, dans notre mémoire collective. Elle exprimait beaucoup de colère, mon tempérament est un peu à l’opposé, néanmoins je respecte ça. Je pense que pour changer le monde il faut combiner plusieurs façons de manifester son ressenti. Elle a été punie pour la sienne, sa carrière en a énormément souffert, mais ça a contribué à  l’évolution aussi bien des femmes, en particulier noires, que des chanteuses. Donc j’ai beaucoup de gratitude envers elle.

Pour le reste, j’adore collaborer, en général. Je n’ai pas de critères précis, c’est vraiment l’émotion qui compte. Je pourrais travailler avec le duo Ibeyi, que j’adore, autant qu’avec Rihanna. Mais c’est sûr que je collaborerais davantage avec des femmes, car elles sont encore sous-représentées, il me tient à coeur que l’on progresse dans ce domaine.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Un lieu qui m’a marquée est l’Opéra de Montréal. J’y ai souvent été car ma soeur était proche de  cet univers, j’ai suivi plusieurs de ses projets quand j’étais adolescente. J’ai toujours été impressionnée par le jeu des acteurs, et les décors, immenses. Ça me captivait, tous ces techniciens, tous ces gens qui avaient travaillé d’arrache-pied à la réalisation d’un spectacle aussi grandiose, tout ça pour que je sois là, à regarder un chef-d’oeuvre, tapie dans l’ombre…

 

Dominique Fils-Aimé, Stay tuned ! (2019) / Modulor
3 questions à… Steve Coleman (jazz m-base)

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Sax autour du cou, l’américain Steve Coleman sillonne les salles de France et de Navarre depuis la fin des années 70. Inclassable, cet improvisateur rompu aux codes du jazz a révolutionné le milieu en suivant une voie qui transcende le son pour l’envisager sous l’angle philosophique. Il est l’un des fondateurs du M-Base, collectif qui rassemble des musiciens aux conceptions et aspirations communes : la création d’une musique expérimentale basée sur l’improvisation et la structure. C’est sans doute cette quête qui rend chaque concert de Steve Coleman unique et profondément ancré dans l’instant. La recherche prend forme sous nos yeux. Le groove nous contamine et provoque un feu qui ne demande qu’à être attisé. Accompagné de son band mythique The Five Elements et du rappeur au free style démoniaque Kokayi, il a brûlé la moquette carmin du New Morning ce mercredi 16 octobre à l’occasion de son concert donné dans le cadre du Festival Jazz sur Seine 2019. Quelques minutes plus tôt, il nous faisait l’honneur de répondre à nos questions. Qui, pour simples qu’elles paraissent, lui ont semblé complexes…

« Le lieu n’a pas d’importance. Le jeu et la musique que l’on joue, voilà ce qui prime.  »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi à Chicago, une ville dotée d’une forte culture musicale, dans une famille qui ne comptait pas de musiciens. J’ai commencé à jouer du saxophone au collège, vers l’âge de 14 ans. Il y a tant de gens qui ont nourri cette voix ! La liste serait trop longue. J’ai écouté énormément de saxophonistes, en commençant par Maceo Parker, et des sons venus du monde entier : du Ghana, du Nigeria, d’Indonésie… J’aime Stevie Wonder, Dinha Washington, Aretha Franklin, et tellement d’autres musiciens qu’il m’est impossible de définir réellement l’origine de mes influences. Peut-être que l’artiste vivant que j’ai le plus écouté est le saxophoniste Von Freeman. Avant, il y a eu Charlie Parker et John Coltrane, bien sûr.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Je ne sais pas, c’est dur à dire. Sans doute avec John Coltrane et le groupe avec lequel il jouait dans les années 60. N’importe où, le lieu n’a pas d’importance. Que l’on joue au New Morning, au Village Vanguard ou dans la rue, ça revient au même, tant que l’on joue pour des gens. Le jeu et la musique que l’on joue, voilà ce qui prime.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Pas vraiment. J’aime jouer un peu partout, à Paris, Munich, Londres, New York ou Chicago.  On avait l’habitude de jouer au Hot Brass à Paris (l’actuel Trabendo) dans les années 90, j’ai de beaux souvenirs là-bas. C’est difficile pour moi de répondre à cette question. La première fois que je suis monté sur scène c’était en 1976 ! J’ai joué dans plein d’endroits et écouté de la bonne musique aux quatre coins du monde depuis, donc j’ai du mal à prendre du recul et à te donner une adresse incontournable. La musique est partout. 

3 questions à… Muthoni Drummer Queen (Kenya)

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Nouvelle étoile de la scène urbaine kenyane, la ravageuse Muthoni Drummer Queen revient dans son troisième album explosif et engagé, She, sur les combats de femmes du quotidien. Remarquée aussi bien dans des festivals éclectiques comme les Trans Musicales de Rennes que sur les scènes world d’Africolor ou de Musiques Métisses, la jeune chanteuse n’en finit pas de mettre le feu aux poudres avec une tournée qui compte de nombreuses dates dans l’Hexagone. Malicieuse, fougueuse et joyeuse, elle a pris le large le temps d’une discussion avec Hit the road.

« Je rêverais d’organiser une rencontre avec Fena Gitu, une rappeuse kenyane, et Juls, un DJ ghanéen. Ce serait un trio de feu : l’Afrique d’aujourd’hui !  »

 

Qui t’a le plus influencée musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi à Nairobi, la capitale du Kenya, où je vis toujours. Les grandes personnalités africaines et féministes ont forgé mon caractère : mes grands modèles sont des femmes de lutte et de courage, comme Maya Angelou ou Winnie Mandela, je me suis identifiée à elles et je partage leurs combats. Musicalement, j’ai toujours écouté des chanteuses venues du Continent, avec des légendes comme la sud-africaine Yvonne Chaka Chaka, mais les Etats-Unis ont parallèlement été une grande source d’inspiration. Lauryn Hill et Missy Elliott sont vraiment mes grandes favorites. Elles ont, comme moi, l’envie de mélanger ce groove afro de la voix à la modernité du rythme. J’aime l’idée de développer un son urbain issu de mes racines africaines.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Si je pouvais collaborer avec une artiste, ce serait Fena Gitu, une rappeuse kenyane « fenaménale » ! N’importe où dans le monde, ça m’irait, pourvu que je sois sur scène avec elle. Et, s’il était vivant, on pourrait la partager avec Prince ! On se retrouverait en pleine nature plutôt qu’à New York. On ferait une croisière et on jouerait ensemble par-delà les mers.… C’est un rêve fou ! En revanche, un souhait plus réaliste serait d’organiser une rencontre avec Fena et Juls, un DJ ghanéen. Ce serait un trio de feu : l’Afrique d’aujourd’hui ! On serait accueillis en résidence dans un château, et on finirait par un énorme concert… gratuit évidemment ! 

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

J’ai vu un concert incroyable de Oshun, un duo de chanteuses qui s’inspirent de la culture yoruba, dans un super club new yorkais dont j’ai oublié le nom. Il y avait une énergie dingue ! Mais pour ce qui est de ma terre-mère l’Afrique, je crois que si je devais conseiller un pays ce serait l’Ouganda : les gens écoutent du reggae et du dancehall importé, mais il y a aussi un vivier urbain, une vrai scène underground où se mêlent techno, électro et rap. Une musique qui regarde vers l’avenir.

Muthoni Drummer Queen, She (2018) / Yotanka Productions

3 questions à… Blick Bassy (Cameroun-France)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Chanteur au look et à la douceur vocale singuliers, Blick Bassy fait partie de ces artistes qui vous caressent le coeur. Ses mélodies, proches d’une pluie d’été, libèrent la fraîcheur et la légèreté d’un orage à peine passé. Après Akö (2015), un bijou de délicatesse signé chez les défricheurs No Format, son dernier album, 1958, est un hommage à Ruben Um Nyobè, leader indépendantiste camerounais exécuté par des militaires français. Invité de choix de l’édition 2019 du festival Musiques Métisses, il a évoqué, à travers ses chansons et une rencontre autour de son livre Le Moabi cinéma (2016), les espoirs d’une jeunesse africaine assoiffée d’avenir et les contraintes imposées par un Occident dominant. À l’occasion de ce week-end ensoleillé, il nous a parlé de son parcours, sa quête de sens et ses coups de coeur du moment…

« Nous vivons dans une société où le standard pré-établi nous pousse à étouffer celui ou celle que nous sommes réellement. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

J’ai grandi au Cameroun, à Yaoundé. J’ai eu la chance d’avoir des parents qui tenaient à ce que nous ayons une éducation traditionnelle. Nous étions vingt-et-un frères et soeurs, et nous passions toutes nos vacances au village : les garçons travaillaient les champs de plantain, et les filles, ceux d’arachide. Cela m’a amené à créer un vrai lien avec la terre qui m’abritait. Après mon bac, alors  que j’avais obtenu une bourse qui m’aurait permis d’aller étudier aux Etats-Unis, au Canada ou en Angleterre, j’ai décidé de rester au Cameroun pour y faire de la musique. J’ai créé mon premier groupe, Macase, avec lequel j’ai joué pendant près de dix ans, et qui a notamment reçu le prix RFI Musiques du Monde. Ensuite, j’ai décidé de venir m’installer en France où je séjourne depuis treize ans maintenant. C’est sans doute ma mère qui m’a d’abord transmis l’amour de la musique : elle chantait pour chaque événement, qu’il soit heureux ou malheureux. Artistiquement, les trois noms auxquels je pense spontanément sont Les Têtes Brûlées du Cameroun (un groupe mythique qui n’a malheureusement pas perduré), David Bowie et Prince, qui m’ont fait comprendre que ce que nous avons à donner, à échanger, c’est tout simplement la singularité de ce que nous sommes. Nous avons la chance, en tant qu’être humain, d’être unique, mais nous vivons dans une société où le standard pré-établi nous pousse à étouffer celui ou celle que nous sommes réellement. À partir du moment où l’on arrive à faire un travail sur soi au quotidien, à s’émanciper de tout cela, on commence enfin à vivre et à avancer un tout petit peu vers son couloir de liberté. Et je remercie ces grands artistes car ils m’ont permis de me comprendre et de me poser les vraies questions concernant la musique, mon métier. Je prends du plaisir sur scène mais ce n’est pas tout. J’essaie d’appliquer musicalement ce que je suis intimement : un Camerounais qui est né et a grandi au pays, qui vit en France depuis quelques années mais passe son temps à courir le  monde à la rencontre d’autres cultures, et qui essaie de redéfinir une perspective par rapport à tout cela. Si l’on y prête attention, on s’aperçoit par exemple qu’on ne trouve quasiment pas d’instrument percussif dans mes morceaux car pour moi le rythme peut être porté par une langue, un instrument harmonique ou mélodique. Cette touche musicale correspond à ma démarche personnelle de vie.
Mes goûts restent néanmoins assez éclectiques. En ce moment, j’écoute beaucoup RY X, une jeune chanteuse qui s’appelle Billie Eilish, James Blake, et quelques sons urbains venus du Nigéria dans le style de Flavour.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

L’artiste avec lequel j’aurais aimé jouer c’est sans hésiter Michael Jackson, qui était une vedette incroyable et d’une grande sensibilité. Mais là où je rêve de jouer, et ça, c’est réalisable, c’est tout simplement dans tous ces villages du Cameroun où les gens n’ont même pas d’électricité, où ils n’ont jamais vu de concert de leur vie. Je voudrais faire des scènes là-bas pour leur faire ressentir  cette magie que peut distiller la musique.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Le Congo est un pays qui m’a laissé un souvenir musical intense. Les gens font de la musique avec uniquement l’énergie et les vibrations qui les habitent. À Kinshasa, la nuit, tu croises des gars dans la rue qui jouent divinement avec des instruments de bric et de broc, faits à la va-vite, et ce sont des moments d’une grande puissance. Le Brésil aussi est un lieu musical formidable. J’ai eu la  chance de participer à un carnaval et de jouer devant 200 000 personnes pendant sept jours avec des gens d’une générosité inimaginable, c’était une expérience vraiment dingue.

 

Blick Bassy, 1958 / No Format, Tôt ou Tard

Festival Musiques Métisses 2019

C’est sous un soleil embrasé que le premier des festivals de musiques du monde a donné le coup d’envoi ! Pour sa 44ème édition, le Festival Musiques Métisses a investi le parvis des Chais Magelis, un site en bord de fleuve et au coeur d’Angoulême « qui fait l’unanimité grâce à sa bonne dimension », précise Patrick Duval, directeur du festival. Les artistes invités, répartis sur les quatre scènes du lieu, représentent avec vivacité la sono mondiale, issus qui d’Afrique du Sud, qui du Maroc, qui du Kenya… mais d’autres événements ponctuent la programmation : rencontres littéraires et projections de films sont autant de rendez-vous métissés qui témoignent d’une envie toujours plus forte de croiser les arts et les cultures.

 

VENDREDI 31 MAI – MUSIQUES MÉTISSES J1

À l’heure de l’apéro, la canadienne Mélissa Laveaux a convoqué le parterre du jardin de la Maison Alsacienne à un voyage dans le temps pour Haïti, scandant des mélodies empourprées et des récits d’une résistance douce-amère avec des titres comme Angeli-ko. Ce terrain, occupé à ce jour par la régie Cinéma de la Région Nouvelle-Aquitaine, se révèle tout au long du week-end l’endroit idéal pour alterner les multiples formes d’expressions artistiques. Dans son dernier album Radyo Siwèl, paru sur le label défricheur No Format, la chanteuse revisite un patrimoine aux échos étouffés par la colonisation américaine du début du XXème siècle avec une délicieuse malice dans la voix. 

Plus tard, c’est la coréenne Youn Sun Nah, improvisatrice inclassable et hors-norme, qui a ensorcelé la grande scène du festival par son chant hypnotique, osant sans détours des reprises-hommages épurées de Hallelujah (dans une version plus proche de celle de Jeff Buckley que de Leonard Cohen) ou Sans toi (de Michel Legrand).

Marina P & Stand High Patrol, figures-phares de la scène soundsystem, ont pris la relève pour un show dub accompagné d’un VJing . Les basses puissantes, l’énergie de Marina et des tubes comme Brest bay ont participé à l’osmose générale de la foule, contaminée.

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SAMEDI 1er JUIN – MUSIQUES MÉTISSES J2

Pour cette deuxième journée de festival, le planning est dense : pas moins de neuf concerts et sept rencontres littéraires investissent les différents espaces des Chais Magelis. Des choix éclectiques s’offrent aux festivaliers qui peuvent tour à tour (re-)découvrir le splendide I am not your negro de Raoul Peck sur grand écran, participer à un atelier de construction d’instruments à la Casamarmaille et déambuler en rythme avec l’Ensemble National de Reggae.

À 16h30, sous les 31° désormais quotidiens, Kei Mc Gregor et son band s’installent et font monter encore de quelques Celsius le climat général. Les plus téméraires se déhanchent au rythme de cette fanfare jazz sud-africaine, et tel un mirage dans l’extrême chaleur, on croit percevoir le visage épanoui du regretté Chris Mc Gregor.

On met le cap vers le nord-est de l’Afrique, direction Nairobi : la prêtresse de l’afro-dopeness Muthoni Drummer Queen monte sur scène ! Tutu sexy, tresses jusqu’aux genoux, elle enflamme le dancefloor accompagnée de ses acolytes tout aussi percussives. Militante féministe, cette jeune reine kenyane qui se revendique volontiers dans l’héritage d’une Maya Angelou nous confie dans son interview (à venir dans nos pages !) qu’elle aurait secrètement rêvé de partager le plateau avec Prince

La journée est loin d’être finie, et une pause s’impose. On s’installe donc sur la pelouse généreuse du jardin de la Maison Alsacienne pour assister à la rencontre littéraire entre Blaise Ndala, auteur de Sans capote ni kalachnikov (2017) dont la trame se déroule sous la dictature de son Congo originel, et le chanteur Blick Bassy qui raconte dans Moabi Cinéma (2016) une autre histoire de l’immigration. « J’ai décidé de faire un livre pour sensibiliser les jeunes africains aux questions d’immigration et leur rappeler l’urgence de reconstruire notre continent. Tout en précisant aux nations « puissantes » que la mobilité est innée et essentielle pour chaque individu. On ne peut pas continuer à parler de droits de l’homme et d’égalité alors qu’il y a encore des espaces où lorsque tu as envie de partir, il faut que celui qui a tracé les barrières de ton pays t’en donne l’autorisation. Aujourd’hui un camerounais qui travaille et qui a de l’argent ne peut pas sortir du territoire pour partir en vacances car il va se confronter au problème du visa qu’il n’est pas sûr d’obtenir. J’ai la chance de voyager, de rencontrer énormément de cultures différentes, et ça m’a donné une grande lucidité. Je vois bien que quand je dois me déplacer pour mes concerts, à la frontière, mes musiciens passent d’abord et moi je reste bloqué. Pourtant je suis le leader du groupe, mais j’ai un passeport camerounais. J’ai écrit ce livre pour dire aux africains qu’il est temps pour nous d’écrire notre propre storytelling et voir comment on pourrait sortir de cette impasse dans laquelle nos pays ont été livrés. »

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Il conclut avec un concert tout en douceur où les titres de son dernier album 1958 se mêlent à l’air chaud et au souffle d’un public captivé, à l’écoute de ces chants mélancoliques en hommage à l’indépendantiste Ruben Um Nyobè. 

La soirée prend une autre tournure avec l’arrivée de Fatoumata Diawara sur la Grande scène. Toute de blanc vêtue, elle s’agite comme une sorcière malienne viendrait envoûter les derniers indécis : la piste s’anime et se fait plus compacte pour des morceaux comme Bonya. Le charme opère…

Le dernier concert dure près de deux heures, avec en place Seun Kuti, fier héritier de son père Fela qui porte haut les couleurs de l’afro-beat « new generation » grâce à son énergie et ses musiciens. Les lumières jouent avec les couleurs flamboyantes de son costume, il passe du micro au clavier avant de convoquer le public à une danse électrisante. Les spectateurs en redemandent, et viennent finir de mouiller leur chemise sur le dj set de L’Enfant sauvage.

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DIMANCHE 3 JUIN – MUSIQUES MÉTISSES J3

Le cru étant excellent cette année, le dernier jour de festival est à la hauteur des précédents !

À peine remis de la soirée de la veille, on se faufile dans la jauge du jardin de la Maison Alsacienne, sous une chaleur encore plus torride. Pas le temps d’espérer un rafraîchissement : un coup de batterie et un riff de guitare suffisent à nous faire comprendre que Delgres n’a pas l’intention de nous faire perdre le rythme. Le trio nous sert un concert décapant, tantôt blues, tantôt rock, aussi endiablant qu’émouvant lorsque Pascal Danaë se met à évoquer la force de sa soeur à laquelle il dédie Pardone mwen.

On en sort comblés, souriant au ciel et à la lumière, implorant néanmoins la brise de se lever pour pouvoir garder le tempo. Sur la Grande scène, les sud-africains BCUC doivent arriver; le public est épars et on a peine à croire que le parvis va se remplir tant les gens semblent attirés par les foodtrucks et autres emplacements de boissons fraîches. Puis, l’un après l’autre, les membres du groupe se placent, lancent un rythme ou deux, et Zithutele « Jovi » Zabani Nkosi, chanteur ô combien habité par une force suprême, se met aux commandes. On se laisse posséder par son discours, sa gestuelle, sa fureur; il invoque Nelson Mandela et la paix entre blancs et noirs « all over the world ». Tel un prêcheur de gospel, il est un brasier ardent, porté par les mélodies de la mystique Kgomotso  qui insuffle une essence divine à cette transe du feu. Le public est emporté, soumis, et ne veut plus quitter Jovi (« don’t stop the music ! ») qui, en nage, doit pourtant laisser la place à la suite. Pour honorer cette communion, il se mêle à la foule qui vient le remercier et l’embrasser.

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Après cette expérience chamanique, on se détend un peu au jardin pour accueillir avec le mérite qu’on lui doit le chanteur Sofiane Saïdi accompagné des musiciens de Mazalda. On se souvient du concert incroyable donné au New Morning à l’automne, où les youyous et les pas de la communauté résonnaient aussi fort que la scène elle-même. À Angoulême, sans cette familiarité du public, la formule a fonctionné tout autant. Le parterre s’est laissé entraîner par cet hommage à une Algérie fière qui se relève enfin, par ce raï d’aujourd’hui qui mêle les accents traditionnels à des influences plus contemporaines, comme sur le titre abrasif El Ndjoum, titre-phare d’où est tiré le nom de l’album.

La jeune marocaine de Glitter prolonge ce mélange des genres, puis c’est le projet de Panda Dub qui a provoqué la liesse générale en cette fin de festival. Enfin, pour les plus courageux que le dimanche soir n’effraie pas, ils ont pu revisiter des pépites de la sono mondiale distillées par Martin Meissonnier, journaliste, producteur et réalisateur, toujours avide de faire partager sa subtile connaissance des musiques du monde.

Toute bonne chose a une fin, et c’est le coeur à la fois lourd et léger qu’on salue les Chais Magelis, heureux de quitter le Festival Musiques Métisses sur une note si sucrée, et déjà aux aguets pour préparer le rendez-vous de l’édition 2020.

© Loïc Rochas
3 questions à… Aziza Brahim (musique sahraouie)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

D’un regard, d’un sourire, Aziza Brahim vous dérobe au pavé parisien pour partager ses nuits étoilées, ses chemins sans nord ni sud et ses espoirs de paix. Figure emblématique de la lutte sahraouie, son chant du sable a fait halte le temps d’une soirée au Pan Piper, à Paris, pour disperser un élixir libre et confiant dans le coeur du public venu nombreux pour l’applaudir.
Quelques heures avant, elle contait à Hit the road ses mirages d’enfant surgis à l’ombre d’un abri de fortune.

« Je n’aurais jamais imaginé que ma musique puisse s’éloigner des frontières du camp de réfugiés où j’ai grandi. »

 

Qui t’a le plus influencée musicalement durant ton parcours?

Je suis née et j’ai grandi dans un camp de réfugiés vers Tindouf, au nord de l’Algérie. Ma plus grande inspiratrice a été ma grand-mère, qui fut un pilier essentiel dans mon parcours musical. Elle était l’une des poétesses les plus importantes du Sahara occidental, j’ai donc évolué dans une ambiance où les arts se mêlaient. Devenir musicienne a toujours été une vocation pour moi. Un jeu d’abord, pour s’amuser avec la voix, puisqu’on n’avait pas de jeux. Puis c’est devenu ma voie, un moyen de m’évader de l’environnement restreint du camp de réfugiés.
De nombreux artistes m’ont également accompagnée depuis l’enfance : des musiciens africains comme Ali Farka Touré ou Myriam Makeba, mais pas seulement. Mes oncles étudiaient en Algérie, et lorsqu’ils venaient nous rendre visite dans le camp, ils amenaient avec eux des morceaux arabes d’Oum Kalthoum, Kadhem Saher ou Baligh Hamdi, et du raï. Le chanteur que j’ai le plus écouté et chéri est sans doute Cheb Khaled.
Mon répertoire actuel part de mes racines sahraouies et de l’Afrique occidentale, et à partir des gammes de cette musique traditionnelle hassani je déroule le fil de mes influences sonores pour arriver à un autre son, plus proche du rock, du blues, ou du latin-jazz. Ma musique est aussi nomade que moi. Chaque lieu dans lequel j’ai vécu a façonné mon style. J’ai passé plus de huit ans à Cuba, alors que j’étais encore adolescente, il va sans dire que cette expérience m’a beaucoup changée, tant personnellement que musicalement. Le son  cubain me fait vibrer le coeur et l’esprit, je l’ai en moi aujourd’hui, il m’a indéniablement enrichie.
Si je devais définir ma musique, je dirais qu’elle est engagée, mais qu’elle s’adresse avant tout aux gens, qu’elle vit pour être entendue. 

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

Il y a tant d’artistes avec lesquels j’aimerais collaborer… Je rêverais par exemple de travailler avec Salif Keïta, que j’admire énormément, ou Tiken Jah Fakoly. Où cela ? Là où la vie me le permettrait. Je ne suis pas de nature exigeante. C’est déjà si fort pour moi de jouer ici ce soir à Paris, au Pan Piper. Je n’aurais jamais imaginé que ma musique puisse s’éloigner des frontières du camp de réfugiés où j’ai grandi. Que les gens du monde entier l’écoutent, qu’on me donne l’opportunité de jouer dans des festivals, des théâtres, des salles de concert, et que des journalistes m’interviewent, c’est une reconnaissance à laquelle je ne me serais jamais attendue ! Et je ressens déjà beaucoup de gratitude pour cela.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs?

Je pense immédiatement à « El lokal », à Zürich. C’est un endroit incroyable, alternatif, où l’on trouve un large panel de styles musicaux. Ils programment beaucoup de world music, mais pas uniquement, ils sont très ouverts. Les personnes qui gèrent le lieu sont adorables, le public est accueillant, généreux, et interagit avec la scène. C’est formidable de jouer là-bas, et d’y tendre l’oreille.

Aziza Brahim, nouvel album à paraître en 2019
© Ana Valiño
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