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3 questions à… Ezra Collective

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Ils portent fièrement les couleurs de la nouvelle scène du jazz comme from UK : les cinq complices de Ezra Collective savent autant manier les featurings hip hop que les rythmes afro-beat. Adeptes de la fusion des genres, ils assument avec The Philosopher, leur dernier opus, un jazz libéré de toute contrainte sur lequel pourraient aussi bien danser un Fela Kuti qu’un Sun Ra. Envoyés par Couleurs Jazz Digital Magazine pour leur passage au Cabaret Sauvage dans le cadre du Festival Jazz à la Villettenous avons discuté avec le batteur et bien nommé Femi Koleoso qui nous a confié ses influences, ses rêves et ses déceptions en terre britannique… compte-rendu.

« Pour les gens comme nous, le Brexit a été un crève-coeur. À partir du moment où l’on est divisés, on faiblit. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours? 

J’ai grandi dans le nord de Londres. Gary Crosby est sans aucun doute la personne qui a eu le plus d’impact sur mon parcours. Il a fondé une association, Tomorrow’s Warriors , qui mène des actions de développement de projets, notamment pour des musiciens de jazz. Je l’ai rencontré il y a 15 ans maintenant, c’est grâce à lui que je suis tombé amoureux de cette musique. Il m’a toujours encouragé. Il m’a fait découvrir Max Roach et Sonny Rollins, m’a aidé à me dépasser davantage à chaque session. Il est comme un père musical pour moi. En tant que batteur, j’ai également écouté en boucle des monstres comme Fela Kuti et Art Blakey (qui est mon super-héros dans ce domaine) pour parfaire mon style. Au quotidien, j’écoute des artistes comme King Krule, Jorja Smith, J Hus ou Robert Glasper, j’aime leur univers. Tout comme les sons Hip hop d’un J Dilla, d’un Pete Rock ou de  Tribe Called Quest. On peut aussi trouver des accents de la Nouvelle-Orléans dans ma musique, mais ce sont surtout les fanfares live qui m’ont servi de références. Lorsque je jouais avec le groupe Kansas Smitty’s, j’ai découvert ce style musical, et je me suis inspiré plus précisément des techniques de Papa Jo Jones. Parallèlement, mon professeur de percussions à l’Université m’a initié à des groupes comme Youngblood Brass Band et The Hot 8 Brass Band. Donc globalement le jazz de Ezra Collective s’inspire de l’afro-beat, du hip hop, du reggae, de la funk et des brass bands. Le jazz a cette force de pouvoir faire fusionner des styles de musique très différents.

Si tu pouvais jouer avec n’importe qui n’importe où, avec qui et où est-ce que ce serait ?

J’aurais rêvé d’être le batteur de John Coltrane dans les années 60 pour ressentir la puissance de son jeu… Mais mon plus grand rêve aurait été de jouer avec Fela Kuti au Shrine, à Lagos, dans les années 70, à l’époque de « Zombie » et « Water no get enemy ». Je n’ai jamais mis les pieds au Nigéria et pourtant c’est de là que je viens et de là que vient l’afro-beat, il faut absolument que j’y aille. Mon plus grand souhait serait qu’Ezra Collective puisse jouer avec Femi Kuti et Seun Kuti au Shrine. Je suis sûr que ça arrivera. Tu dis que Seun veut ouvrir un nouveau club à Lagos * ? J’ai envie de te dire : « I’m ready! »

As-tu un lieu musical coup de coeur à faire découvrir à nos lecteurs? 

Un des moments les plus forts que j’ai vécu dernièrement s’est déroulé à Londres, lors d’un évènement appelé « Steam down ». C’était une jam session de jazz. Le lieu était bondé de jeunes qui sautaient, trempés, l’ambiance était moite, électrique… c’est presque une sensation de transe que tu ressens quand tu perçois autant de positivité condensée en un seul endroit ! Je suis conscient du privilège que c’est de pouvoir voyager comme moi dans le monde entier, mais ce qu’il s’est passé là, dans ce petit club du sud de Londres, je ne l’avais encore jamais éprouvé ailleurs. Et à chaque fois que je suis dans cette ville, je me rends compte que j’ai vraiment besoin d’y être. Donc si on est un grand amateur de musique, il faut venir à Londres. Il y a tellement de lieux pour se nourrir de musique et de danse ! Ici, à Paris, j’ai joué au New Morning, c’est un lieu mythique ! J’adore cette capitale, elle est si proche de Londres… alors bien sûr il y a eu le Brexit, et pour les gens comme moi ça a été un crève-coeur. Les personnes âgées ont pensé le futur des jeunes à leur place, cet épisode a créé une réelle division. Les plus gros sujets de discorde sur cette terre sont l’immigration, les changements climatiques, l’accès à l’éducation pour tous, l’égalité hommes-femmes, le racisme… et le moyen de résoudre les problèmes qui y sont liés est de tous collaborer à notre niveau, de travailler ensemble à la construction d’un monde meilleur. À partir du moment où l’on est divisés, on faiblit. J’ai honte qu’autant de gens en Angleterre ne comprennent pas cela et ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Quoi qu’il en soit, il faut admettre que toute l’Europe est en train de se radicaliser, ce qui nous est arrivé aurait pu advenir en France ou en Allemagne. Alors un conseil à ceux qui ne veulent pas du Brexit : venez écouter le prochain concert d’Ezra Collective et danser sur notre groove, on sera tous ensemble, et positifs !

 

Ezra Collective, Juan Pablo :The Philosopher; 2018
© Declan Slattery
3 questions à… Vincent Ségal

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

À l’occasion du concert donné par Lionel Suarez et son Quarteto Gardel au Centre des Bords de Marne, envoyé par nos confrères de Couleurs Jazz, Hit the road a pu recueillir les confidences de chacun des quatre complices qui le composent. 

Volet 2 : Vincent Ségal…

Il est de toutes les expériences sensorielles : décoiffante avec son complice Cyril Atef (Bumcello), apaisée avec le joueur de kora Ballaké Sissoko, transversale avec le rappeur Oxmo Puccino… Ce serait trop long de citer les collaborations auxquelles a participé l’incontournable violoncelliste Vincent Ségal qui s’avère être aussi discret que loquace, nomade d’esprit mais casanier de coeur. Les yeux fermés, l’archet à la main, il semble pourtant nous esquisser la route et nous convier à ce rendez-vous de tendresse et de soleils mouillés. 

« On vit tous dans une grande solitude, les sensations que provoquent la musique ou l’amour permettent d’y échapper… »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours? 

Je suis né à Reims, en Champagne. Je me souviens d’avoir écouté dès tout petit des disques de musique classique : Stravinsky, Bartók… Mais mes premiers souvenirs de musique jouée remontent à l’époque du cours préparatoire au conservatoire, avec mon premier professeur de violoncelle qui a marqué toute ma vie. Si je suis musicien c’est grâce à lui et à ma famille. À la différence de nombreux artistes que je connais, je ne suis pas issu d’une lignée de musiciens mais mes parents m’emmenaient souvent voir des concerts. Et cet amour pour la musique m’a poussé à  jouer des styles assez variés un peu partout. À l’instar d’un Claude Lévi Strauss, je hais les voyages mais j’aime l’histoire humaine. Quand je suis en tournée, je me déplace essentiellement  dans les rues autour de l’hôtel où je dors. Je suis un amateur des coins de rue, j’essaie de trouver ce qu’il y a de plus intéressant à deux pas de là où je suis. Mais en réalité je m’évade grâce à la musique, grâce aux voyages intérieurs qu’elle procure, à l’opportunité qu’elle offre de pénétrer l’esprit des personnes avec lesquelles je joue. On vit tous dans une grande solitude, les sensations que provoquent la musique ou l’amour permettent d’y échapper… c’est plus fort que les drogues ! C’est pour ça que je voyage : pour les rencontres musicales qui parsèment le chemin, pour l’histoire qui se raconte alors même que l’on joue, pour cette intimité-là. J’aime regarder l’excès que déclenche la joie d’une musique, mais à distance. Le Carnaval de Récife par exemple est fascinant, mais dans une telle ambiance je préfère rester un peu à l’écart. Il y a une sorte de folie orgiaque des sens et des sons qui se déploie, c’est magnifique mais c’est trop pour moi, je n’ai pas envie de sonner faux là-dedans. Un jour, à Bamako, dans la rue où vivent mes amis Ballaké Cissolo et Toumani Diabaté, j’ai assisté à un mariage familial. Tous les griots de la ville sont venus. C’était tellement puissant ! Je suis allé me cacher sur le toit et j’ai regardé ça de très loin. Je n’en croyais pas mes yeux… ni mes oreilles !

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer? 

L’hiver dernier on a joué au Wigmore Hall à Londres, en duo avec Airelle Besson, je rêvais d’y aller car c’est un lieu unique pour la musique de chambre, c’était une expérience inoubliable ! Tous les grands violoncellistes, comme Rostropovitch, y ont joué. Mais aujourd’hui, je ne sais pas. J’ai eu la chance de me produire dans des salles de rock emblématiques où ont pu jouer des dieux comme Hendrix, j’ai été au Festival Jazzmania au Brésil, dans des lieux mythiques de la culture Hip hop… J’ai joué dans tellement d’endroits historiques que je suis conscient que ce sont avant tout les gens qui font la beauté du moment. Pour autant, il y a des lieux qui te marquent à jamais. J’ai eu notamment un trac monumental les première fois où j’ai joué au New Morning. J’y avais entendu tellement de bons musiciens que ça  m’angoissait terriblement de leur emboîter le pas ! Chet Baker, Bootsy Collins, Steve Coleman, Bill Frisell… se retrouver sur la même scène qu’eux, ça secoue !

Mon rêve de voyage maintenant ce serait de faire de l’escalade dans la montagne, ou du cheval, peut-être comme Maurice Baquet qui skiait avec son violoncelle dans le dos. Il faudrait juste que je fasse attention à ne pas casser le mien, parce qu’à part la musique, je ne sais rien faire…

As-tu un lieu musical coup de coeur à faire découvrir à nos lecteurs? 

J’aurais tendance à dire que la meilleure musique se trouve dans les endroits où les gens ne sont pas encore trop avachis devant leur télé ou leur ordinateur, donc quand tu vas dans les zones forestières du Gabon, tu peux rencontrer des musiciens d’exception. En Inde aussi, si c’est ton anniversaire, tu payes des musiciens de rue pour te jouer quelque chose, un peu comme nos anciens troubadours, et crois-moi c’est impressionnant ! On jouait comme ça partout à l’époque en fait. À Paris, quand il n’y avait encore ni internet ni télévision, on allait dans les cafés le soir et il y avait toujours des musiciens, au moins un accordéoniste, un violoniste, un chanteur, ou un orchestre quand c’était un café bourgeois. Il y avait même un musicien dans les salons de coiffure, pour attirer les clients ! Aujourd’hui tout ça n’existe plus. C’est à peine si on siffle encore. Donc les lieux musicaux sont pour moi des pays comme l’Inde ou dans des villes comme Naples, où les gens chantent toujours dans la rue.

3 questions à… Henri Texier (jazz)

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Figure légendaire du jazz européen, Henri Texier doit beaucoup à sa contrebasse. Issu d’un milieu modeste, son amour pour la musique lui sera rendu au centuple : il a fait le tour du monde, enregistré plus d’une centaine de disques (dont une vingtaine sous son nom) et collaboré avec des pointures comme Bud Powell, Kenny Clarke, Don Cherry ou Dexter Gordon. Ses compagnons de route se nomment Aldo Romano et Louis Sclavis. Sa curiosité l’a porté vers des projets où la musique croisait le cinéma, la danse et le cirque. Du haut de ses 73 ans, au détour d’un souvenir de plus, il vous avoue pourtant, le regard bleu : « L’expérience ne change rien. Quand on a le trac, on a le trac. »

Ce soir de mars au Centre des bords de Marne, il jouait avec son Hope quartet pour la Biennale de Jazz, et j’étais envoyée spéciale Couleurs Jazz Digital Magazine pour la soirée. Avant l’événement, à l’abri dans un coin de la cafétéria, nous avons rejoint la bretagne et les pavés new-yorkais de sa jeunesse…

« J’ai joué au Newport Jazz Festival sur la même scène que James Brown et Miles Davis, à 24 ans… J’ai cessé d’être noir et américain ce jour-là. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours? 

Je suis un fils d’émigrés bretons, ma famille est venue chercher du travail en région parisienne après la guerre. La plupart d’entre eux s’installaient à Montparnasse à l’époque, nous, nous  habitions aux Batignolles, un quartier très bobo aujourd‘hui mais qui était un repère d’ouvriers et de maghrébins. Mon père était salarié de la SNCF, il avait un logement de fonction dans cette gigantesque gare de marchandise qui allait de l’avenue de Clichy au boulevard Pereire. J’ai donc grandi dans un milieu très populaire. On avait le jazz dans l’oreille. J’en avais entendu à la radio avant même de savoir ce que c’était. Sidney Bechet était une immense vedette, autant qu’Edith Piaf ou Maurice Chevalier. À l’âge de 8 ans, ma mère m’a obligé à prendre des leçons de piano classique, cela ne me plaisait pas du tout. J’avais un oncle qui travaillait comme chauffeur de bus à la RATP, il jouait de la batterie dans les bals en Bretagne mais pianotait aussi. Un jour, comme je m’ennuyais avec mon instrument, il s’est mis à jouer l’une des formes les plus primitives du blues au piano : le boogie-woogie ! Depuis lors, je suis bluesman. Mes plus grandes découvertes musicales remontent à mes 12-13 ans, avec mon ami d’enfance Alain Tabar – Nouval. Il jouait de la guitare et de la clarinette, moi du piano : on est devenus accrocs à la musique ! J’ai troqué mon clavier pour une contrebasse vers l’âge de 16 ans, et un an plus tard je jouais déjà dans de grands clubs parisiens. Pourtant, ma plus grande claque a sans doute été dans les six premiers mois, lorsqu’on est parti jouer au Casino de Quiberon avec notre « orchestre étudiant ». En me baladant un dimanche matin, j’ai croisé le bagad de Lann-Bihoué (la formation traditionnelle bretonne). Tous les grands sonneurs bretons faisaient leur service militaire dans ce régiment, vers Lorient. Je ne connaissais pas du tout ce genre, j’étais fasciné : ça swinguait vraiment ! Pour la petite histoire, j’ai fait une composition à la fin des années 70 sur laquelle je joue de la bombarde en solo : le morceau a été repris par le bagad de Quimperlé, et le fameux bagad de Lann-Bihoué, qui l’a entendu, l’a intégré à son répertoire… La boucle était bouclée !

J’ai été également très imprégné par les musiques du monde tout au long de ma carrière. Dans les bistros du boulevard de Clichy, quand j’allais faire du baby-foot avec mes copains, on entendait des mélodies orientales, africaines. Jusqu’à mes 20 ans, le jazz me semblait être essentiellement le son des musiciens afro-américains. Puis on a commencé à découvrir Ravi Shankar, les Tambours du Burundi… c’est arrivé en même temps que A Night at the Village Vanguard de Sonny Rollins avec Elvin Jones, en même temps qu’Ornette Coleman… une explosion absolue ! J’ai appréhendé toutes ces musiques au même moment, elles font partie de ce que je suis maintenant.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer? 

Je rêve de jouer, tout simplement. Où que ce soit. Je peux me dire aujourd’hui que j’aimerais faire une série de concerts en appartement avec 40 personnes, et avoir envie demain de rejouer dans la Grande Halle de la Villette ou au Théâtre du Châtelet. J’ai eu une vie bien remplie, je me suis retrouvé dans des circonstances très diverses. J’ai joué pour 2 personnes dans des caveaux minables et pour 70 000 spectateurs au Newport Jazz Festival. Le rêve que j’ai sans aucun doute réalisé pleinement, c’est de jouer aux Etats-Unis. Mon premier grand voyage s’est passé à l’époque de Phil Woods And His Europeans Rythm Machine, avec Daniel Humair et George Gruntz, on est allé jouer à Newport. Ça a été le plus grand festival jazz de tous les temps. En 68, il était à son apogée et commençait à accueillir des musiques comme le rock, la soul. J’y ai vu des musiciens incroyables : James Brown, Miles Davis, Herbie Hancock… ils y étaient tous, et j’ai joué sur la même scène qu’eux, à 24 ans ! En revenant, j’ai pris un coup de vieux terrible. Je ne pouvais plus être un gamin en admiration absolue devant les musiciens de jazz américain. J’ai cessé d’être noir et américain ce jour-là. Avant, je m’y croyais vraiment. L’Amérique n’avait pourtant jamais été un fantasme pour moi. Mais je rêvais d’aller jouer à New York et à Los Angeles avec les musiciens de la côte Ouest qui étaient mes idoles… Là-bas j’ai fait des jam sessions avec certains d’entre eux : j’ai mis un moment à m’en remettre !

Donc de « rêve » à proprement parler je n’en ai plus, ou j’en ai tout le temps. Honnêtement, ça me fait rêver de jouer ce soir au Perreux-sur-marne !

As-tu un lieu musical coup de coeur à faire découvrir à nos lecteurs? 

Ce sont plus les musiciens qui m’intéressent que les lieux en eux-mêmes. J’ai rencontré de très mauvais jazzmen à New York et découvert des artistes hors pair au Ghana au coin d’une rue… Si on peut voyager, il faut aller à Marrakech écouter les vrais musiciens gnawa : ça envoie ! Sinon, à Paris, l’un des lieux qui me semble le plus intéressant est Le Triton, aux Lilas. On peut y découvrir une large palette de musiques actuelles. C’est un lieu inventé, qui n’a rien d’institutionnel, un endroit culturel au vrai sens du terme. On y voit de la danse, on y entend de la musique, on y écoute de la poésie… c’est un écho du monde.

Henri Texier, dernier album en quintet Sand woman ; 2018, Label Bleu
© Jean-Baptiste Millot
3 questions à… Lionel Suarez

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

En concert le 14 avril prochain au New Morning, le Quarteto Gardel a partagé le plateau avec le légendaire contrebassiste Henri Texier à l’occasion de la saison jazz du Centre des Bords de Marne. Hit the road a la chance d’avoir pu recueillir les confidences de chacun des quatre complices qui le composent. 
Volet 1 : Lionel Suarez…

Enfant du bal, l’accordéoniste Lionel Suarez aime porter son instrument aux quatre vents et le faire valser sur des airs métissés qu’il improvise en chemin. Son projet Quarteto Gardel, qu’il promène avec trois musiciens d’exception (Vincent Ségal, Minino Garay et Airelle Besson), élargit l’horizon en proposant un hommage au tanguero Carlos Gardel dont le parfum d’ailleurs convoque des paysages ardents et inexplorés.  

« Les préjugés sur l’accordéon sont très français. Dès qu’on sort du territoire, on sent un vent de liberté souffler sur l’instrument. »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Ce sont les rencontres qui ont constitué mon style. J’ai grandi à Rodez, dans l’Aveyron, mon père et mon grand-père jouaient de l’accordéon. Je suis un enfant du bal. Il n’y avait pas tellement de disques à la maison, je connaissais surtout la musique que jouait mon père. J’ai commencé mon enseignement du piano et de l’accordéon à l’âge de 8 ans, et c’est seulement vers 14 ans  que je me suis mis à écouter de la musique enregistrée, à l’époque où je grattais la basse avec des copains dans des garages. Plus tard, j’ai rencontré un musicien qui m’a fait découvrir la chanson française. Ensemble, on a repris tous les grands auteurs : Léo Ferré, Georges Brassens, Boris Vian, Jacques Brel… Puis j’ai découvert l’univers du jazz manouche et l’improvisation. J’ai compris qu’on pouvait voyager avec un instrument. J’ai alors fait la connaissance de JeHaN, un chanteur toulousain avec lequel je joue de nouveau aujourd’hui, dix-sept ans après notre rencontre. Grâce à lui, j’ai travaillé avec Claude Nougaro, ce qui m’a permis de rencontrer d’autres musiciens, comme André Minvielle avec lequel j’ai collaboré pendant dix ans. Lorsque j’ai déménagé à Paris avec mon accordéon, je ne me sentais spécialiste de rien en particulier. J’étais dans un processus d’apprentissage et content de voir autre chose. À Paris, les cultures se croisent, tu peux improviser avec des argentins, des brésiliens… j’ai toujours aimé le fait de passer d’un univers à l’autre, cette variété de langages. Bernard Dimey disait : « Je vais de l’élite à la pègre sans me plaindre ni me vanter. ».  Cette phrase a toujours eu un fort écho en moi.

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer?

Je n’ai pas de réels fantasmes. En revanche, j’ai des envies, et actuellement c’est celle de concrétiser un projet pédagogique dans lequel je me suis lancé avec un ami, Jean-Luc Amestoy (accordéoniste toulousain qui a travaillé notamment avec Zebda), couplé avec un projet de documentaire. L’idée est de cheminer sur la route de l’accordéon, pour essayer de comprendre pourquoi cet instrument est devenu si populaire. Le principe de l’accordéon est né en Chine, aujourd’hui c’est le pays où on en fabrique le plus au monde. Mais j’ai découvert aussi qu’il y avait  des Inuits et des Pygmées qui en jouaient. On entend résonner l’accordéon en Louisiane, au Mexique ou au Brésil. C’est passionnant. J’aime l’idée de créer un parcours avec des gens à rencontrer, c’est le vrai moteur du projet. Au Vietnam, quelqu’un m’a expliqué qu’on appelait l’accordéon « le piano de la joie », alors qu’en France il est dénommé « le piano du pauvre ». C’est un instrument très respecté car les anciens en jouaient pendant la guerre du Vietnam. Depuis, il a disparu; les instruments sont très chers, il n’y a pas de professeurs pour faire perdurer la tradition. C’est pareil en Jamaïque ou en Martinique. Et j’ai envie de creuser un peu cette histoire. Les préjugés sur l’accordéon sont très français. Dès qu’on sort du territoire, on sent un vent de liberté souffler sur l’instrument. Je travaille souvent avec le public scolaire, et j’ai remarqué que pour la première fois depuis bien longtemps les enfants n’ont aucun préjugé quant à cet instrument : ils ne le connaissent pas. Ils ne l’associent pas à l’image d’Yvette Horner. Je n’ai rien contre d’ailleurs, cette période a existé et ça ne me dérange pas. Mais j’apprécie le fait qu’on se retrouve devant de nouvelles générations qui n’ont aucun a priori. L’accordéon a été popularisé pendant la deuxième moitié du XIXème siècle, c’est un instrument très jeune dans l’histoire de la musique, et c’est l’un des seuls instruments polyphoniques qui a tout à jouer. On n’est au début de quelque chose, à l’instar du piano au XVIIème siècle, lorsque les fabricants adaptaient la facture aux artistes. C’est une vraie chance. Aujourd’hui, lorsque l’on est guitariste ou saxophoniste, on sait qu’on est l’héritier de John Coltrane ou Jimi Hendrix : c’est effrayant pour un jeune musicien ! Alors que lorsque pour un accordéoniste, tout reste à inventer. Donc cet instrument, qui souffre d’une image ringarde, a encore tout à construire, et sera peut-être le plus « in » d’ici quelques années !

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs? 

New York est une ville fantastique pour un musicien, elle offre la possibilité de barouder toute la nuit, d’aller écouter des musiciens aussi inconnus qu’excellents. Je me souviens d’un club, le Fat Cat, qui ressemble à un hangar avec des baby-foot, des ping-pongs… Au fond sont disposés de vieux canapés délabrés qui font office d’accueil du public, et un groupe est là, qui joue. On y allait souvent avec un ami vers 2h du matin, et on y a vu des concert dingues !

Lionel Suarez, Quarteto Gardel; 2018, Bretelles Prod / L’autre distribution
© Caroline Pottier
3 questions à… Médéric Collignon

« 3 questions à… » est une rubrique qui permet à nos lecteurs de découvrir un artiste à travers de brèves confessions sur son rapport au voyage et à la musique.

Médéric Collignon est un oiseau rare. Migrant d’un univers sonore à l’autre, du jazz improvisé à la funk ou l’électro, il se nourrit d’ondes et de vibrations, animé par l’atmosphère et l’énergie des autres. De l’énergie, il en regorge, et de sa gorge nait cette harmonie entre ce qui l’entoure et ce qui l’habite. Être (plutôt qu’avoir) suprasensible et sensoriel, il a fait un tour de voltige l’été dernier pour les 40 ans du Festival Jazz à la Défense en participant à une création spéciale orchestrée par Andy Emler. À l’issue du concert, grisés par le champagne et les effluves de gaieté ambiante, nous avons piaffé en coeur, cage ouverte.

« On ne sait plus écouter. Pourtant, la nature chante sans arrêt. Si tu t’approches d’une fourmilière, ce que tu entends est inouï ! »

 

Qui t’a le plus influencé musicalement durant ton parcours?

Ce sont d’abord mes parents. À l’âge de 5 ans environ, j’ai découvert Maurice André dans une émission télé. À l’époque, il était considéré comme le trompettiste français le plus populaire du milieu classique, une vraie star internationale. Sans regarder l’écran, j’ai dit : « J’ai envie de faire de l’oiseau, comme le monsieur. » Mes parents m’ont donc inscrit au conservatoire de Charleville-Mézières. Tout a commencé en réalité par une erreur de perception.
J’ai ensuite été influencé par ma propre voix, qui m’a fait arrêter la trompette (je n’en joue plus depuis 26 ans). Ça semble un peu schizophrène mais c’est tout à fait naturel. La trompette ne ressemblait pas du tout à ma voix. Donc il fallait que je retrouve quelque chose de plus comique, de plus chaud. Mon professeur, Philippe Cocu, m’a prêté un cornet à pistons, puis j’en ai acheté un, puis un jour j’ai trouvé un cornet de poche, et de fil en aiguille le voyage intérieur s’est poursuivi et m’a permis d’affiner et de me rapprocher du son de ma voix. Je pense avoir plus ou moins trouvé, mais c’est sans doute encore une perception fausse… Je crois qu’au fond je me suis toujours trompé. Et c’est en un sens une troisième influence : l’objectif n’est pas tellement de trouver, mais de chercher. Avancer, découvrir, ressentir. Être le pire comme le meilleur. Être influencé par vous, les autres, ceux qui nous entourent. Ce soir par exemple, pour les 40 ans du Festival Jazz à la Défense, je jouais, je n’avais pas préparé de solo, rien de pré-établi. Et là, un enfant se met à crier. J’arrête alors ce gros son qui semble lui faire peur, je m‘approche de lui et une idée me vient. Puis je rebondis en voyant la lumière… un coup de vent s’intensifie, et je décide d’aller ailleurs… Je n’ai pas cessé de me faire influencer par tous ces éléments. Et par les visages des gens, décontenancés, ou amusés. Il faut être sensible à ce qui se passe autour de nous. Souvent, je joue et je répète des choses que je ne jouerai pas lors du concert. Ce qui va se passer sur scène est comme un différentiel. Il ne reste que l’essentiel. C’est un voyage constant, et ça ne coûte vraiment pas cher !

Si tu pouvais aller n’importe où, dans quel lieu rêverais-tu de jouer?

Je resterais quelque part sur terre, là où une vibration peut résonner, atteindre quelque chose. Peut-être que ce serait un endroit extrêmement généreux en résonance, où il y aurait  énormément d’écho, de réactivité. Ça provoquerait des avalanches, des variations de temps… un truc complètement mégalomane, que tu ne pourrais faire qu’une fois. Tu meurs après, mais tu l’as fait ! Tu as été totalement en osmose avec les éléments : le feu, l’air, le vent, tout… tu trouves la note qui fait trembler la terre ! Je suis un grand observateur de tout ce qui concerne les volcans. Je m’intéresse à la peau de la terre, celle qui sue de la lave, qui chie des lares, qui ravine tout sur son passage… j’aurais envie d’être dans cette partition, dans ces éléments-là pour voir s’il est possible de créer une sorte d’oeuvre totale, terrienne et absolue. Pour finir en beauté ! Mourir sur scène, et la terre serait ma scène.

As-tu un lieu musical coup de cœur à faire découvrir à nos lecteurs? 

Il faut aller dans les forêts, ou écouter l’eau des rivière. J’ai été il n’y a pas longtemps en Bretagne avec ma famille, et j’ai été transporté par un concert de l’Océan Atlantique. En fin d’après-midi, le soleil se couche, la mer monte, et elle offre une densité incroyable. Toutes les sept vagues, elle te ramène à ta petite taille. Il y a ces couleurs, cette mousse, ces variations à l’intérieur de chaque vague, et c’est un moment musical merveilleux pour celui qui écoute.
J’aime aussi les résonances dans les grottes : toutes ces petites gouttes qui tombent et qui fabriquent des stalagmites font une musique aléatoire. Dans les Ardennes, je travaillais le son au bord du Lac des Vieilles Forges avec Philippe Cocu. La forêt a comme un effet pulmonaire, elle te renvoie à toi et à tes problèmes harmoniques. Au fond, ce que je conseille aux gens c’est d’être plus sensibles qu’aujourd’hui. On ne sait plus se concentrer, on ne sait plus attendre ou se laisser pénétrer par la musique. Je me suis fait masser par un praticien chinois, et pendant la séance le type m’a dit : « si tu te défends, ça ne marchera pas ». Il ne pouvait pas me soigner si je ne me laissais pas aller. En musique c’est pareil. Il faut être sensible à l’autre. Et l’autre c’est la nature, les humains. On ne sait plus écouter. Pourtant, la nature chante sans arrêt. Si tu t’approches d’une fourmilière, ce que tu entends est inouï ! Tu vois ces petits livres pour enfants, où tu dois appuyer sur un bouton pour entendre le cri du lapin ou du chat ? Il n’y a pas un adulte qui sait comment ça sonne ! Il faut redevenir enfant. Ça nous permettrait à tous de réapprendre à respirer, comme les enfants, de savoir écouter ou imiter, comme eux.

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